Portrait du jacobin

Portrait du jacobin

PORTRAIT DU JACOBIN

…leur scélératesse extravagante, parvenue enfin à parler seule, devint la loi.

HOEL

 Qu'est-ce que le jacobinisme ?

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Robespierre, Danton et Marat (Alfred Loudet, 1882)

 


                                                                                                                …vous abusez sans cesse des mots pour accuser les personnes et confondre les choses…

                                           … jamais on n’avait préconisé le crime comme un principe de révolution, ni l’oppression comme un principe de liberté, et c’est ce qu’ont fait les jacobins.

…leur scélératesse extravagante, parvenue enfin à parler seule, devint la loi.

                                              Sera-t-il dit que vous irez toujours directement contre votre but ; que toujours vous ferez mépriser par la raison ce que vous voulez faire respecter par des lois ?

La Harpe

« …LE STYLE AUTORITAIRE : C’EST CELUI DE LA SECTE… »

…l’orgueil usurpateur et tyrannique s’est fait une langue à son image…

« Avocat, procureur, chirurgien, journaliste, curé, artiste ou lettré de troisième et quatrième ordre, le Jacobin ressemble à un pâtre qui, tout d’un coup, dans un recoin de sa chaumière, découvrirait des parchemins qui l’appellent à la couronne. Quel contraste entre la mesquinerie de son état et l’importance dont l’investit la théorie ! Comme il embrasse avec amour un dogme qui le relève si haut à ses propres yeux ! Il lit et relit assidûment la Déclaration des droits, la constitution, tous les papiers officiels qui lui confèrent ses glorieuses prérogatives ; il s’en remplit l’imagination, et tout de suite il prend le ton qui convient à sa nouvelle dignité. — Rien de plus hautain, de plus arrogant que ce ton. Dès l’origine, il éclate dans les harangues des clubs et dans les pétitions à l’Assemblée constituante. Loustalot, Fréron, Danton, Marat, Robespierre, Saint-Just ne quittent jamais le style autoritaire : c’est celui de la secte, et il finit par devenir un jargon à l’usage de ses derniers valets. Politesse ou tolérance, tout ce qui ressemble à des égards ou à du respect pour autrui est exclu de leurs paroles comme de leurs actes : l’orgueil usurpateur et tyrannique s’est fait une langue à son image, et l’on voit non seulement les premiers acteurs, mais encore les simples comparses trôner sur leur estrade de grands mots. Chacun d’eux, à ses propres yeux, est un Romain, un sauveur, un héros, un grand homme. »

Hippolyte Taine – La conquête jacobine

« RAISON TRÈS FAIBLE, PASSIONS TRÈS FORTES ET MYSTICISME INTENSE »

« Un Jacobin raisonnant autant qu’on le lui reproche serait accessible quelquefois à la voix de la raison. Or, une observation, faite de la Révolution à nos jours, démontre que le Jacobin, et c’est d’ailleurs sa force, n’est jamais influencé par un raisonnement, quelle qu’en soit la justesse. […] La mentalité jacobine se rencontre surtout chez les caractères passionnés et bornés. Elle implique, en effet, une pensée étroite et rigide, rendant inaccessible à toute critique, à toute considération étrangère à la foi. […] Ce n’est pas, on le voit, par le développement de sa logique rationnelle que pèche le Jacobin. Il en possède très peu et pour ce motif devient souvent fort dangereux. Là où un homme supérieur hésiterait ou s’arrêterait, le Jacobin, qui met sa faible raison au service de ses impulsions, marche avec certitude. […] Avec ces 3 éléments : raison très faible, passions très fortes et mysticisme intense, nous avons les véritables composantes psychologiques de l’âme du Jacobin. »

Gustave Le Bon – La révolution française et la psychologie des révolutions

 

« ASSASSINER LA FRANCE, … ASSASSINER LA LIBERTÉ, … ASSASSINER LA RÉPUBLIQUE »

                                                                                                                    …désigner comme assassin d’intention tout ce qu’elle assassine en réalité.

                                  Si depuis huit ans elle assassine les nobles, les prêtres, les magistrats, les riches, les négociants, les gens de loi, les gens de lettres, les artistes, etc., etc., etc. ; c’est que tous ces gens-là veulent assassiner la France, veulent assassiner la liberté, veulent assassiner la république

« La logique des scélérats est d’appeler toujours un crime à la suite d’un autre crime, comme pour couvrir l’un par l’autre ; et telle était la stupidité des bandits mis en œuvre par les monstres, qu’en massacrant les prêtres, ils semblaient justifier à leurs propres yeux le pillage des temples et des autels. Le signal fut donné, dans toute la France, de courir sus aux prêtres, comme à des ennemis publics qui ne méritaient aucune pitié, qui ne respiraient que le sang, qui n’aspiraient qu’à plonger la France dans des flots de sang, etc., etc., etc. Je répète les propres termes répétés alors sans cesse et par-tout ; et d’ailleurs on sait que c’étaient les mêmes qu’on employa toujours contre toutes les classes de proscrits, et tout était proscrit, hors la faction et ce qui était à elle. Depuis huit ans son caractère particulier, et, pour ainsi dire, son signalement dans le monde, comme il le sera dans l’histoire, c’est de désigner comme assassin d’intention tout ce qu’elle assassine en réalité. Si depuis huit ans elle assassine les nobles, les prêtres, les magistrats, les riches, les négociants, les gens de loi, les gens de lettres, les artistes, etc., etc., etc. ; c’est que tous ces gens-là veulent assassiner la France, veulent assassiner la liberté, veulent assassiner la république, d’où il suit que la faction, avec ses agents, est à elle seule la France, la liberté, la république, puisque tout ce qui n’est pas elle n’est bon qu’à tuer, et que si elle eût pu aller jusqu’au bout, il ne resterait plus à tuer qu’elle-même. »

« CELA PEUT N’ÊTRE PAS VRAI… »

                                                                                                         Cela peut n’être pas vrai ; mais cela est toujours très-bon à dire à la tribune.

                           « Au reste, ce mot de noyades en lui-même est plutôt de néologisme que de révolution. Il ne faut pas oublier que le propre de la langue révolutionnaire est d’employer des mots connus, mais toujours en sens inverse ; et cela ne souffre point d’exception. »

                       « …l’impudence révolutionnaire est l’œil du cyclope, qu’on ne pouvait crever qu’avec un pieu brûlant. Les oppresseurs joignent à une force réelle des prétextes frivoles ; les opprimés n’ont pour eux que la vérité ; tâchons du moins qu’elle soit assez évidente pour ôter les prétextes à la force oppressive, et l’oppression du moins restera seule exposée aux regards, avec toute sa difformité. »

                    « …ce systême est chez eux conséquent et nécessaire. Des hommes que toute vérité accuse et condamne, n’ont d’autre arme, pour se défendre et pour attaquer (par la parole), que le mensonge. Donc ils mentiront tant qu’ils seront à portée de mentir impunément. Dès qu’ils ne le pourront plus, ils seront sans ressource. »

« Il n’y a pas ici un mot qui ne soit d’une exactitude rigoureuse : aussi cette théorie du mensonge, cette consécration de la calomnie se trouvera-t-elle parmi les phénomènes de la Révolution. On ne peut avoir oublié les harangues de Danton et consorts sur la calomnie permise contre les ennemis de la liberté ; et l’on sait que ce nom d’ennemis de la liberté, comme toutes les autres dénominations révolutionnaires, aristocrates, royalistes, chouans, etc., a toujours signifié et signifie encore dans la bouche de l’exécrable faction : tous ceux qui ne sont pas ses complices ou ses esclaves. Cette définition, appliquée aux faits, trouverait très-peu d’exeptions. Voilà d’abord le principe. L’habitude est tellement connue, tellement avouée, qu’il serait superflu et même ridicule de vouloir la prouver : elle l’est au point que, si par hasard il y a quelques exceptions, l’histoire les citera comme des traits extraordinaires, comme une espèce de prodige. Il est de fait que tout ce qui s’appelle jacobin, montagnard, patriote, etc., est occupé chaque jour à composer les mensonges du lendemain. Quant au devoir, le mensonge en est un pour eux, au point que s’il arrivait qu’un d’entre eux montrât le plus petit scrupule à cet égard, il serait traité comme un apostat, un transfuge, en un mot comme un honnête homme. Parmi des faits sans nombre, je ne citerai que celui de vendémiaire, et il est bien avéré. On avait dit à la tribune que les sections travaillaient à affamer Paris. Cette imposture n’était pas plus absurde que mille autres qu’on débitait à toute heure. Cependant, je ne sais comment il se fit que dans un comité quelqu’un dit qu’il n’était pas vrai que les Parisiens cherchassent à s’affamer eux-mêmes, et que ce conte était par trop ridicule. Un autre membre lui répondit avec beaucoup d’humeur : Cela peut n’être pas vrai ; mais cela est toujours très-bon à dire à la tribune. Et il avait raison. Au reste, prenez garde que ce systême est chez eux conséquent et nécessaire. Des hommes que toute vérité accuse et condamne, n’ont d’autre arme, pour se défendre et pour attaquer (par la parole), que le mensonge. Donc ils mentiront tant qu’ils seront à portée de mentir impunément. Dès qu’ils ne le pourront plus, ils seront sans ressource. »

La Harpe – Du fanatisme dans la langue révolutionnaire

L’oppression linguistique

L’oppression linguistique

L'OPPRESSION LINGUISTIQUE

...siempre la lengua fue compañera del imperio...


                    Cuando bien comigo pienso, mui esclarecida Reina, i pongo delante los ojos el antigüedad de todas las cosas, que para nuestra recordación y memoria quedaron escriptas, una cosa hállo y sáco por conclusión mui cierta: que siempre la lengua fue compañera del imperio; y de tal manera lo siguió, que juntamente començaron, crecieron y florecieron, y después junta fue la caida de entrambos.

Antonio de Nebrija – Gramática de la lengua castellana (1492)

                  Quand je réfléchis bien en moi, très éclairée Reine, et pose devant les yeux l’antiquité de toutes les choses qui ont été écrites pour notre souvenir et notre mémoire, je trouve une chose et tire une conclusion très certaine, que toujours la langue fut compagne de l’empire ; et le suit de telle manière, que conjointement ils ont commencé, ont grandi et ont prospéré, et ensuite liée fut la chute des deux.


                                                                                         La domination s’exerce en effet aussi par le langage. Les « élites » imposent leur manière de parler comme la seule légitime.

Philippe Blanchet

                                                                 Autre aspect de la glottophagie : en situation de conquête, une des modalités de l’oppression d’un peuple ou d’une communauté passe par la domination exercée sur sa langue.

Alice Krieg

GLOTTOPHOBIA – GLOTTOMANIA

Discriminations : Combattre la glottophobie (Philippe Blanchet)

« Le premier livre à dénoncer la glottophobie, discrimination par le langage. »

                               Le langage est dans notre société un instrument de pouvoir puissant et méconnu […]. La domination s’exerce en effet aussi par le langage. Les « élites » imposent leur manière de parler comme la seule légitime.

Glottophobie, c’est un mot bizarre… […]

«L’idée, c’est de signifier par ce mot le fait que des personnes sont discriminées, sont jugées, humiliées, perdent de l’estime de soi parce qu’on n’accepte pas la façon dont elles parlent ou la langue [qu’]elles parlent…» […]

En quoi y a-t-il au juste des discriminations linguistiques, concrêtement ?

«On discrimine les gens globalement de deux façons. La première c’est en instaurant le fait que certaines langues sont acceptées dans certaines situations et que d’autres sont refusées, et donc que les gens, pour avoir accès, par exemple, à des droits, à des ressources, à des moyens, à de la promotion sociale, doivent adopter une autre langue que la leur, et puis on discrimine aussi les gens sur la façon dont ils parlent une langue et sur le fait qu’on leur asigne des identités, souvent des identités négatives, péjotatives, des stéréotypes, et de la même façon, du coup, on les empêche d’accéder à un certain nombre de moyens de vie sociale, de vie culturelle, à cause de la façon dont ils parlent.» […]

Mais pourquoi c’est ignoré, c’est au fond la question qu’on se pose. Pourquoi est-ce que c’est ignoré, par exemple, du champ politique … pourquoi c’est comme ça, un tabou presque ?

«Alors, c’est, c’est particulièrement un tabou en France… la plupart des grands textes internationaux de protection des droits de l’homme et de lutte contre les discriminations interdisent les discriminations linguistiques explicitement et disent qu’on a accès à tous ses droits quel que soit la langue dans laquelle on parle et comment on la parle…. Mais en France … c’est parce qu’il y a une idéologie linguistique qui est l’idéologie de l’homogénéité nationale, tout le monde doit parler la même langue et de la même façon, et on a fait en sorte, au cours, on va dire, en gros, des deux siècles précédents, d’inculquer ça aux gens de telle sorte que tout le monde y croit, et du coup on pense que c’est légitime de reprocher à quelqu’un d’être hors norme d’une certaine façon, de sortir de la case…[et du coup de menacer ce] ce mythe de l’homogénéité qui dans les faits existe pas parce que la diversité linguistique on peut pas l’empêcher…» […]

Alors, on a tendance à l’oublier mais la langue c’est un instrument de domination. Et d’ailleurs, en prélude, vous citez Boltanski et Bourdieu : «Le pouvoir sur la langue est une des dimensions les plus importantes du pouvoir.» […]

Concrêtement, que faire alors pour lutter contre ce genre de discrimination….

«Alors, c’est, c’est un vaste chantier …. D’abord je crois qu’y a la nécessité d’une prise de conscience, hein, que c’est de la discrimination comme d’autres discriminations…. Peut-être qu’un jour par exemple dans la loi française qui prohibe les discriminations, on pourra rajouter, elle a déjà été modifiée deux fois, une troisième fois les discriminations linguistiques… Pour l’instant j’ai pas d’écho du milieu politique… Pour l’instant le, la ministre de la justice m’a pas encore téléphoné pour me demander comment modifier la loi mais j’espère que ça viendra…» […]

Est-ce que ça passe par exemple aussi en France par la reconnaissance des langues régionales. On sait que la France était plutôt en retard par rapport aux directives européennes…

«Oui, et pas qu’européennes, … y a aucune raison qu’on interdise à quelqu’un d’utiliser sa langue, y compris sa langue première, et qu’on l’oblige à passer par la langue de quelqu’un d’autre pour avoir accès, par exemple, à des droits administratifs, des ressources, des services, etc.»

http://editionstextuel.com/index.php?cat=020407&id=648

http://www.observatoireplurilinguisme.eu/index.php/fr/pole-recherche/parutions/9926-blanchet,-philippe,-2016,-discriminations-combattre-la-glottophobie,-paris,-textuel,-192-p

Un « triple enfermement » idéologique des pratiques linguistiques : logicomathématique, sociopolitique et ethnonationaliste

« Qu’est-ce que la glottophobie ? Le sociolinguiste et professeur à l’université de Rennes 2, Philippe Blanchet, a forgé ce mot pour désigner les discriminations linguistiques de toutes sortes et qu’il définit ainsi : « le mépris, la haine, l’agression, le rejet, l’exclusion, de personnes, discrimination négative effectivement ou prétendument fondés sur le fait de considérer incorrectes, inférieures, mauvaises certaines formes linguistiques (perçues comme des langues, des dialectes ou des usages de langue) usitées par ces personnes, en général en focalisant sur les formes linguistiques (et sans toujours avoir pleinement conscience de l’ampleur des effets produits sur les personnes) ». » […]

« Mais, comme le recto d’une feuille de papier est inséparable de son verso, l’autre face de la glottophobie est la glottomanie qui consiste à parer une langue (ou plusieurs) de toutes les qualités (clarté, beauté, précision, etc.) comme autant de mirages qui finissent par créer son « prestige » (rappelons que le prestige est une illusion dans le vocabulaire de la prestidigitation). Et Philippe Blanchet démontre dans son livre, comme dans l’entretien qu’il nous a accordé, que cette surévaluation linguistique est souvent le fruit de politiques linguistiques menées par les Etats-Nations. La France, où l’identité nationale est pensée comme synonyme de langue française, est, à cet égard, un laboratoire de premier ordre pour le sociolinguiste. » […]

« J’ai élaboré récemment, dans un texte à paraitre, une théorie du « triple enfermement » idéologique des pratiques linguistiques, dont l’enfermement logicomathématique, et c’est de la Grèce antique qu’il nous vient. Les deux autres enfermements, sociopolitique et ethnonationaliste, ont fait le reste en sélectionnant, sacralisant, imposant, une variété standardisée semi-artificielle d’une seule langue (par exemple la norme scolaire du français standard) comme totem de l’unité nationale et filtre d’accès aux sphères de pouvoir. » […]

« L’idéologie nationale (et même nationaliste) française a ensuite fait réinterpréter le sens de ces deux articles [de l’ordonnance de Villers-Cotterêts]  pour essayer de légitimer par une ancienneté historique l’imposition du monolinguisme de langue française lancée sous la Terreur (en 1793) et poursuivie jusqu’à aujourd’hui dans l’Etat-Nation français inventé et construit depuis la Révolution. On a fait croire que l’ordonnance couvrait tous les usages administratifs, voire institutionnels. On a même fait croire que c’était le premier texte qui instaurait une « langue officielle » ou une « langue nationale » en France. Tout ceci est évidemment au moins une surinterprétation très exagérée, voire une manipulation malhonnête inspirée par un projet idéologique. Mais le travail d’inculcation du mythe a été très puissant lors de la construction ethno-nationaliste de la France d’après la Révolution, par ses appareils idéologiques d’Etat dont l’instruction publique devenue « éducation nationale » (l’adjectif est lourd de signification). C’est comme ça que se met en place une hégémonie (c’est-à-dire, au sens de Gramsci, une domination inculquée comme « normale » et donc acceptée y compris par celles et ceux qui en sont victimes et qui n’y voient pas d’alternative). »

« Qu’est-ce que la glottophobie ? Entretien avec Philippe Blanchet »

http://blog.assimil.com/glottophobie-entretien-philippe-blanchet

Glottophobie : article sur Wikipedia

https://fr.wikipedia.org/wiki/Glottophobie

GLOTTOPHAGIA

Linguistique et colonialisme. Petit traité de glottophagie (Louis-Jean Calvet)

« Le propos de ce livre est de montrer comment l’étude des langues a toujours proposé, au bout du compte, une certaine vision des communautés linguistiques et de leurs rapports, et comment cette vision a pu être utilisée pour justifier l’entreprise coloniale. Les sciences humaines sont en effet enfermées dans un carcan séculier : qu’elles le veuillent ou non, elles parlent de nous, de nos conflits, de nos luttes. Et la traduction qu’elles en donnent est souvent, qu’elles le veuillent ou non, utilisée au profit de certains, dans ces conflits et dans ces luttes. D’un certain point de vue, la linguistique a été jusqu’à l’aube de notre siècle une manière de nier la langue des autres peuples, cette négation, avec d’autres, constituant le fondement idéologique de notre « supériorité », de la supériorité de l’Occident chrétien sur les peuples « exotiques » que nous allions asservir joyeusement. Le phénomène n’a d’ailleurs pas disparu avec la « décolonisation ». Louis-Jean Calvet le montre très clairement à travers un certain nombre de comportements, non seulement outre mer, mais à l’intérieur même de l’hexagone où les langues régionales demeurent les victimes d’un impérialisme linguistique dont l’un des masques les plus récents est peut être celui de la francophonie. Une linguistique consciente de ces implications politiques ne peut être que militante. C’est aux linguistes concernés, dans leurs pays respectifs, dans leurs régions, qu’il appartient d’assumer cette prise en charge, ce combat pour la défense et l’épanouissement de leur langue et de leur culture propres. »

http://www.payot-rivages.net/livre_Linguistique-et-colonialisme-Louis-Jean-Calvet_ean13_9782228880282.html

« Linguistique et colonialisme … a paru pour la première fois en 1974. Il est devenu depuis un classique de cette branche des sciences du langage que l’on nomme la politique linguistique (l’auteur préfère parler plus justement de politologie linguistique). Celle-ci s’intéresse aux rapports qu’entretiennent les langues et le politique, que ces rapports s’exercent entre des langues différentes (par exemple, prééminence de l’anglo-américain dans les échanges scientifiques internationaux) ou à l’intérieur d’une même langue (volonté de réduire l’écart entre variantes régionales, réformes de simplification de l’orthographe…). Au cours de cet ouvrage écrit dans le contexte d’une décolonisation en voie d’achèvement, Louis-Jean Calvet s’attache à décrire et illustrer la « glottophagie ». Ce terme est assez explicite : une langue en mange une autre. Mais les chemins qui conduisent à la glottophagie ont la complexité des sociétés humaines : ils mêlent l’histoire et la géographie, les intérêts politiques, économiques, religieux et scientifiques. La description des langues à laquelle travaillent les linguistes a longtemps servi à justifier l’entreprise coloniale, à l’instar de l’anthropologie physique.

La distinction entre ce qui relèverait du « dialecte » (toujours péjoratif, celui du sauvage et de la tribu) et ce qui relèverait de la « langue » (valorisée, celle du civilisé et de la nation) est un de ces outils à demi scientifiques qui légitiment la domination. Plus largement, un ensemble de qualificatifs aux fondements scientifiques très contestables distribue les langues sur une échelle de valeur : il y aurait des langues plus claires, plus riches, plus aptes à nommer l’abstraction… Autre aspect de la glottophagie : en situation de conquête, une des modalités de l’oppression d’un peuple ou d’une communauté passe par la domination exercée sur sa langue. »

Alice Krieg

https://www.cairn.info/magazine-sciences-humaines-2002-6-page-60.htm

LINGUICISM & LINGUISTIC IMPERIALIM

« In the mid-1980s, linguist Tove Skutnabb-Kangas, captured this idea of discrimination based on language as the concept of linguicism. Kangas defined linguicism as the « ideologies and structures which are used to legitimate, effectuate, and reproduce unequal division of power and resources (both material and non-material) between groups which are defined on the basis of language. »

« Au milieu des années 1980, la linguiste Tove Skutnabb-Kangas a saisi cette idée de discrimination basée sur la langue par le concept de linguicisme. Kangas a défini le linguicisme comme les « idéologies et structures qui sont utilisées pour légitimer, opérer et reproduire une division inégale du pouvoir et des ressources (à la fois matérielle et non-matérielle) entre des groupes qui sont définis sur la base de la langue. »

https://en.wikipedia.org/wiki/Linguistic_discrimination

http://www.tove-skutnabb-kangas.org

Robert Phillipson – Entrevista

Llengua i reivindicacions nacionals a Catalunya

Rights of Man

Rights of Man

“Rights of Man”

“Théorie et pratique des droits de l'homme”

HOEL


Society is indeed a contract. Subordinate contracts for objects of mere occasional interest may be dissolved at pleasure—but the state ought not to be considered as nothing better than a partnership agreement in a trade of pepper and coffee, calico or tobacco, or some other such low concern, to be taken up for a little temporary interest, and to be dissolved by the fancy of the parties. It is to be looked on with other reverence; because it is not a partnership in things subservient only to the gross animal existence of a temporary and perishable nature. It is a partnership in all science; a partnership in all art; a partnership in every virtue, and in all perfection. As the ends of such a partnership cannot be obtained in many generations, it becomes a partnership not only between those who are living, but between those who are living, those who are dead, and those who are to be born. Each contract of each particular state is but a clause in the great primæval contract of eternal society, linking the lower with the higher natures, connecting the visible and invisible world, according to a fixed compact sanctioned by the inviolable oath which holds all physical and all moral natures, each in their appointed place. This law is not subject to the will of those, who by an obligation above them, and infinitely superior, are bound to submit their will to that law.

Edmund Burke – Reflections on the Revolution in France

« La société est effectivement un contrat. Les contrats de second ordre pour les objets de simple intérêt occasionnel peuvent être dissouts à plaisir, mais l’État ne devrait pas être considéré comme rien de plus qu’un accord de partenariat dans un commerce de poivre et de café, de calicot ou de tabac, ou de toute autre affaire d’intérêt mineur, à laquelle on prend temporairement un peu d’intérêt, et que l’on abandonne selon la fantaisie des parties. Il doit être considéré avec autrement plus de respect ; parce que ce n’est pas un partenariat pour des choses soumises seulement à la grossière existence animale d’une nature temporaire et périssable. C’est un partenariat dans toutes les sciences ; un partenariat dans tous les arts ; un partenariat dans toutes les vertus et dans toutes les perfections. Comme les buts d’un tel partenariat ne peuvent pas être atteints en plusieurs générations, il devient un partenariat non seulement entre ceux qui vivent, mais entre ceux qui vivent, ceux qui sont morts et ceux qui sont à naître. Chaque contrat de chaque Etat particulier n’est qu’une clause dans le grand contrat primitif de la société éternelle qui relie les natures les plus basses aux plus élevées, qui unie monde visible et invisible, conformément à un pacte fixe sanctionné par le serment inviolable qui maintient toutes les natures physiques et morales chacune à la place qui lui a été assignée. Cette loi n’est pas soumise à la volonté de ceux qui, par une obligation qui est au-dessus d’eux et leur est infiniment supérieure, sont contraints de soumettre leur volonté à cette loi. »

Réflexions sur la Révolution en France


It has been thought a considerable advance towards establishing the principles of Freedom, to say, that government is a compact between those who govern and those who are governed: but this cannot be true, because it is putting the effect before the cause; for as man must have existed before governments existed, there necessarily was a time when governments did not exist, and consequently there could originally exist no governors to form such a compact with. The fact therefore must be, that the individuals themselves, each in his own personal and sovereign right, entered into a compact with each other to produce a government: and this is the only mode in which governments have a right to arise, and the only principle on which they have a right to exist.

Thomas Paine – Rights of Man
Being an Answer to Mr. Burke's
Attack on the French Revolution

« On a cru faire un grand pas vers l’établissement des principes de la liberté en disant que le gouvernement étoit un contrat entre les gouvernans et les gouvernés ; mais cela ne peut pas être vrai, ce seroit mettre l’effet avant la cause ; car comme les hommes ont dû exister avant les gouvernemens, il y eut certainement un temps où les gouvernemens n’existoient pas, et conséquemment il ne pouvoit pas dans l’origine des choses y avoir de gouverneurs pour former un pareil contrat. Il faut donc que les hommes eux-mêmes, chacun selon son droit personnel et souverain, se soient concertés les uns avec les autres, pour former un gouvernement ; et c’est la seule méthode par laquelle les gouvernemens ont droit de se former, et les seules bases sur lesquelles ils ont droit d’exister. »

Droits de l'homme
ou
Réponse à l'ouvrage de Monsieur Burke 
contre la révolution françoise

However, Paine did not make it clear whether the right of revolution was an individual or a collective right or in other words whether it was a perfect or an imperfect right to quote the categories of his own typology. As an individual alone cannot lead a political revolution and needs the help of others to carry it out, one may argue that the right of revolution falls into the group of “imperfect” rights, whereas it might be surmised that the right to resist individually would be a perfect one.

Carine Lounissi – ‘Thomas Paine’s Reflections on the Social Contract: A Consistent Theory?’ (in New Directions in Thomas Paine Studies)

« Cependant, Paine ne montre pas clairement si le droit de révolution était un droit individuel ou collectif ou, en d’autres termes, s’il était un droit parfait ou imparfait pour reprendre les catégories de sa propre typologie. Comme un individu seul ne peut pas mener une révolution politique et a besoin de l’aide d’autres personnes pour l’entreprendre, on pourrait soutenir que le droit de révolution tombe dans le groupe des droits « imparfaits », tandis qu’on pourrait présumer que le droit de résister individuellement en serait un parfait. »


We recognize the paradigmatic quality of the ‘Burke–Paine debate’ […]. For it was here first established that the battleground of politics would long be dominated by the siege of aristocratic ‘tradition’ by plebeian ‘democracy’. We might even concede Paine’s virtually single-handed creation of a mass reading public conscious for the first time of its right to participate in politics. Yet when we study the British debate over the French revolution it is often Edmund Burke who receives greater attention. Paine is merely one of his respondents, albeit the most important. But Paine’s brand of popular radicalism is rarely construed as part of the ‘great tradition’ of political thought upon which we often suppose western civilization is built.

This is curious given the fact that it is Paine’s vision, rather than Burke’s, which predominates in the modern world. It would be inexplicable except that the revival of Burke has had more to do with the Russian than the French revolution and has consequently resulted in the frequent conservative confusion of the principles of the latter revolution (or indeed any other) with those of Jacobinism. Such an imbalance clearly requires rectification, and by examining Paine’s ideas in their context we will find that he was indeed a revolutionary, but not a Bolshevik or a Jacobin.

Gregory Claeys

« Nous reconnaissons la qualité paradigmatique du débat ‘Burke–Paine’ […]. Car là fut établi pour la première fois que le champ de bataille de la politique serait longtemps dominé par le siège de la ‘tradition’ aristocratique par la ‘démocratie’ plébéienne. Nous pourrions même admettre la création presque solitaire par Paine d’un large public de lecteurs conscient pour la première fois de son droit de participer à la vie politique. Pourtant, quand nous étudions le débat britannique sur la révolution française, c’est souvent Edmund Burke qui reçoit la plus grande attention. Paine est simplement l’un de ses contestataires, quoique le plus important. Mais la conception de Paine du radicalisme populaire est rarement interprétée dans le cadre de la ‘grande tradition’ de la pensée politique sur laquelle nous supposons souvent que repose la civilisation occidentale.

C’est curieux, étant donné que c’est la vision de Paine, plutôt que celle de Burke, qui prédomine dans le monde moderne. Cela serait inexplicable en dehors du fait que la renaissance de Burke a eu plus à voir avec la révolution russe qu’avec la française et a par conséquent entraîné la fréquente confusion conservatrice des principes de la dernière révolution (ou, en fait, de n’importe quelle autre) avec ceux du jacobinisme. Un tel déséquilibre exige clairement une rectification, et en examinant les idées de Paine dans leur contexte, nous découvrirons qu’il était en effet un révolutionnaire, mais pas un bolchevique ni un Jacobin. »


Il ne faut pas oublier que c’est à Paris (1794-95) qu’a été écrit et publié en anglais ainsi qu’en français l’ouvrage le plus important des écrits religieux de Paine, le Siècle de la Raison, — ouvrage qui a donné à son nom une célébrité aussi étendue dans le monde de langue anglaise que l’est celle de Voltaire en France, et non moins odieuse aux yeux de l’orthodoxie. Cette critique sévère de la Bible a encore aujourd’hui largement cours dans beaucoup de sociétés de libres penseurs, polémistes enthousiastes, chez qui Paine revit comme l’ouvrier de la première heure, le porte-drapeau de la pensée indépendante, tandis que, d’un autre côté, il a continué jusqu’à ces derniers temps de vivre dans l’exécration cléricale, et encore plus dans les calomnies et les fables dont sa vie et sa mort ont été l’objet. Le Siècle de la Raison a été longtemps, en Angleterre et en Amérique, le champ de bataille où s’est livrée la lutte pour la liberté de la presse ; un grand nombre de libres penseurs en Angleterre ont subi un long emprisonnement ou d`énormes amendes pour l’avoir publié. Son auteur est devenu une figure presque surnaturelle. Ses partisans pouvaient alléguer plusieurs circonstances où Paine avait « providentiellement » échappé à de terribles dangers, entre autres à celui de la guillotine pour laquelle sa tête avait été désignée, tandis que l`orthodoxie inventait pour lui la légende d’une mort surnaturellement horrible, et que la malédiction s’attachait à ses os. Dans ce conflit, on perdait de vue le caractère relativement modéré de ses hérésies — car Paine fut toujours un fervent théiste — et il était mis au pilori par des écrivains plus sceptiques que lui-même. La mémoire des longs et héroïques services qu’il avait rendus à la liberté politique, en Amérique et en Europe, était ensevelie dans la même fosse où l’on enterrait ce livre hétérodoxe, écrit sur la fin d’une carrière qui avait reçu l’hommage de Franklin, de Washington, de Jefferson, de Madison et de tous les hommes d’État libéraux de l’Europe.

La controverse religieuse soulevée au sujet de Paine a duré un siècle ; mes propres souvenirs s’étendent à une moitié de siècle ; et, bien que personnellement je n’aie pas été étroitement mêlé à cette controverse — Paine n’étant pas mon prophète — mes expériences et mes observations m’apparaissent et m’impressionnent aujourd’hui comme une partie de la vie posthume de cet homme, que je dois sauver de l`oubli. Bien qu’il m’en coûte de sortir de ma réserve, l’achèvement de mes travaux sur ce sujet m’impose le devoir d’apporter mon témoignage personnel, qui, je le crois, peut avoir pour les lecteurs français une valeur toute particulière. Ils ne pourront s’empêcher de voir, dans la persistance de l’influence de Paine en Angleterre et en Amérique jusqu’à ce jour, quatre-vingt-dix ans après sa mort, une preuve que leurs ancêtres ne se sont pas trompés en l’élisant dans quatre départements à la Convention nationale de 1792, et en le faisant entrer dans le Comité chargé d’élaborer une Constitution pour la France. Ils s’expliqueront en même temps pourquoi un homme de cette importance joue un si maigre rôle dans les histoires courantes. […]

Naturellement, il n’y avait dans nos bibliothèques de collège aucun ouvrage de Paine, et on ne nous apprenait rien de l’histoire d’Amérique ; autrement, nous aurions su que Paine était l’ami de Franklin, de Washington et de Jefferson, qui tous l’avaient déclaré un des plus grands fondateurs des États-Unis. […]

Je m’intéressai à Paine et fis connaissance en partie avec l’immense mythologie qui s’était formée dans le pays au sujet de Paine et circulait largement dans les livres de piété : il avait maltraité et abandonné sa femme ; il s’était associé aux révolutionnaires français dans les massacres du règne de la Terreur ; il avait écrit un abominable livre contre la parole de Dieu ; c’était un ivrogne, abhorré de tous les gens qui se respectent ; il avait rétracté ses opinions ; il était mort dans les affres du remords et de la terreur. Sa rétractation n’avait pu dispenser Jéhovah de signaler au monde la scélératesse de son hérésie par les horreurs qui ont accompagné la mort d’un si notoire « infidèle ». […]

J’avais découvert que les bigots qui avaient avili Paine de son vivant, et chargé sa mémoire de tant de calomnies et de malédictions que les historiens avaient peur d’y toucher, avaient ainsi relégué comme dans quelque île du Diable, le témoin qui pouvait raconter la plus véridique histoire de la Révolution américaine et de la Révolution française, celle aussi des mouvements révolutionnaires et antirévolutionnaires de l`Angleterre. […]

L’élévation d’un mécanicien quaker dans un coin éloigné de l’Angleterre au poste de premier secrétaire des Affaires étrangères en Amérique, puis de membre de la Convention nationale en France et de son premier Comité de Constitution — est un événement qui compte, un de ces événements qui représentent les conditions du monde contemporain. […]

Paine, le citoyen du genre humain, n’ayant de parti que celui de l’humanité, dans son temps l’enfant terrible pour tous les partis politiques, — Paine, bien que cité de temps en temps dans une vue particulière, était resté jusqu’ici un témoin qui en savait trop long sur les hommes publics et les événements de son temps, pour qu’un historien patriote le sommât de dire toute la vérité.


Moncure Daniel Conway - Thomas Paine et la 
Révolution dans les deux mondes
(traduction : Félix Rabbe)
Portrait de Thomas Paine (v. 1791)Laurent Dabos

                                                             I dwell not upon the vapours of imagination; I bring reason to your ears and, in language as plain as A, B, C, hold up truth to your eyes.

Thomas Paine – The American Crisis (1776)

                                    Je ne m’étend pas sur les vapeurs de l’imagination ; j’apporte la raison à tes oreilles et, dans une langue aussi claire que A, B, C, lève la vérité vers tes yeux.

                                       I cannot express how kind he is to me; there is a simplicity of manner, a goodness of heart, and a strength of mind in him I never knew a man before possess.

Lord Edward Fitzgerald, indépendantiste irlandais (1763-1798)

                   Je ne peux pas exprimer combien il est bon pour moi ; il est d’une simplicité de manière, d’une bonté de cœur et d’une force d’esprit que je n’ai jamais vues chez personne auparavant.

La Révolution française était considérée à juste titre et se donnait elle-même comme une fille de la Révolution américaine. Les plus libres esprits d’Amérique la saluèrent avec enthousiasme. Ils rêvèrent d’affranchir l’Angleterre, leur ancienne métropole, et de former ensuite, avec la France, une fédération qui aurait compris les trois grandes démocraties de l’Atlantique. Deux hommes surtout se dévouèrent à cette œuvre, le poète Joël Barlow et le publiciste Thomas Paine. […]

Thomas Paine fut élu à la Convention par quatre départements, l’Aisne, l’Oise, le Pas-de-Calais et le Puy-de-Dôme. Henry Bancal, l’ami de Mme Roland, qui était secrétaire de l’Assemblée électorale du Puy-de-Dôme, lui annonça son élection par la lettre suivante, datée de Riom, le 8 septembre 1792 :

« Thomas Payne (sic),

L’assemblée électorale du département du Pui de Dôme, dans sa séance de ce soir, vous a nommé député à la Convention nationale. Votre amour pour l’humanité, pour la liberté et l’égalité, les ouvrages utiles, qui sont sortis de votre cœur et de votre plume pour les défendre, ont déterminé ce choix. Venez, ami des hommes, augmenter le nombre des patriotes d’une Assemblée qui doit fixer le sort d’un grand peuple et peut-être celui du genre humain.

Les tems des bonheur que vous avez prédit aux nations sont arrivés. Venés, ne trompés pas leur attente… »

Albert Mathiez – La Révolution et les Étrangers. Cosmopolitisme et défense nationale

Parmi les papiers de Robespierre, s’est trouvé la note suivante :

« Demander que Thomas Payne soit décrété d’accusation pour l’intérêt de l’Amérique autant que de la France ».

Thomas Paine – Le Siècle de la Raison. Seconde partie (Préface)

                  Among the papers of Robespierre that were examined and reported upon to the Convention by a Committee of Deputies, is a note in the hand-writing of Robespierre, in the following words:

« Demander que Thomas Paine soit décrété d’accusation pour l’intérêt de l’Amérique autant que de la France. »

To demand that a decree of accusation be passed against Thomas Paine, for the interest of America, as well as of France.

Thomas Paine – The Age of Reason. Part the Second (Preface)

Le principe moral des révolutions est d’instruire, et non pas de détruire.

Si depuis deux ans, on avait donné à la France, comme on le devoit, une constitution, je suis intimement persuadé qu’on auroit évité les désordres et les violences, qui on désolé ce beau pays, et souillé la révolution. L’union des Français auroit été appuyée sur un acte ; et chaque individu auroit pû connoître le sentier dans lequel il pouvoit marcher avec sécurité. Mais au lieu de constitution, on a créé un gouvernement révolutionnaire, un phantôme absurde, sans principes, et sans autorité déterminée ; où la vertu et le crime dépendoient des circonstances du moment, où le patriotisme de la veille se trouvoit le lendemain métamorphosé en trahison.

Toutes ces monstruosités sont la suite naturelle du manque d’une constitution ; car la nature et le but d’une constitution sont d’empêcher les factions de conduire à leur gré le gouvernement, en posant des principes qui surveillent leurs impulsions, et qui leur dit à toutes : TU PEUX ALLER JUSQUES-LA, MAIS PAS PLUS LOIN. Mais quand il n’y a point de constitution, chaque individu en fait une, en adoptant un parti ; et tandis que les principes devroient gouverner tous les partis, ce sont les partis qui disposent des principes.

L’avidité de punir est toujours dangereuse pour la liberté. Elle conduit les hommes à corrompre et à défigurer les plus sages lois, en les étendant, en leur donnant une fausse interprétation et une application injuste. L’homme jaloux d’assurer sa propre liberté, doit indispensablement défendre son plus cruel ennemi contre toute oppression ; car, en violant ce devoir, il donne un exemple, dont l’imitation peut, d’un moment à l’autre, lui devenir funeste à lui-même.

Thomas Paine – Dissertation sur les premiers principes de gouvernement (1795)

The moral principle of revolutions is to instruct, not to destroy.

Had a constitution been established two years ago (as ought to have been done), the violences that have since desolated France and injured the character of the revolution, would, in my opinion, have been prevented. The nation would then have had a bond of union, and every individual would have known the line of conduct he was to follow. But instead of this, a revolutionary government, a thing without either principle or authority, was substituted in its place; virtue and crime depended upon accident; and that which was patriotism one day became treason the next.

All these things have followed from the want of a constitution; for it is the nature and intention of a constitution to prevent governing by party, by establishing a common principle that shall limit and control the power and impulse of party, and that says to all parties, THUS FAR SHALT THOU GO AND NO FURTHER. But in the absence of a constitution, men look entirely to party; and instead of principle governing party, party governs principle.

An avidity to punish is always dangerous to liberty. It leads men to stretch, to misinterpret, and to misapply even the best of laws. He that would make his own liberty secure, must guard even his enemy from oppression; for if he violates this duty, he establishes a precedent that will reach to himself.

Thomas Paine – Dissertation on first principles of government (1795)

La lutte des partis ou plutôt des factions s’exaspère. Dans son grand rapport du 5 nivôse, 25 décembre 1793, sur les principes du gouvernement révolutionnaire, Robespierre fait retomber sur les étrangers la cause de toutes les crises que la Révolution avait traversées : « Ils délibèrent, disait-il, dans nos administrations, dans nos assemblées sectionnaires, ils s’introduisent dans nos clubs, ils ont siégé jusque dans le sanctuaire de la représentation nationale… Ils rôdent autour de nous, ils surprennent nos secrets, ils caressent nos passions, ils cherchent à nous inspirer jusqu’à nos opinions, ils tournent contre nous nos résolutions. Etes-vous faibles? Ils louent votre prudence. Etes-vous prudents? Ils vous accusent de faiblesse ; ils appellent votre courage témérité, votre justice cruauté. Ménagez-les, ils conspirent publiquement, menacez-les, ils conspirent dans les ténèbres et sous le masque du patriotisme. Hier, ils assassinaient les défenseurs de la liberté, aujourd’hui, ils se mêlent à leur pompe funèbre… Les étrangers ont paru quelque temps les arbitres de la tranquillité publique. L’argent circulait ou disparaissait à leur gré. Quand ils voulaient, le peuple trouvait du pain, quand ils voulaient, le peuple en était privé… Leur principal objet est de nous mettre aux prises les uns avec les autres. » Robespierre conclut qu’il fallait se hâter de traduire en jugement les étrangers conspirateurs.

Cette conclusion parut insuffisante à Barère qui rappela à Robespierre que le Comité de Salut public avait décidé de demander à la Convention de rapporter le décret par lequel on avait appelé les étrangers à la représentation nationale. « Quand nous avons la guerre avec une partie de l’Europe, aucun étranger ne peut aspirer à l’honneur de représenter le peuple français. » Pour montrer que cette suspicion était légitime, Barère cita l’exemple d’un certain comte Poroni qui était venu en France avec un ouvrage prétendu philanthropique qui lui avait servi de titre pour demander la naturalisation française. « Il avait, disait-il, perdu tous ses biens en propageant dans son pays les principes de la raison. Eh bien, citoyens, cet homme a disparu depuis quelque temps et nous avons appris qu’à son retour en Italie, ses biens lui avaient été rendus. » Le Dantoniste Bourdon de l’Oise appuya la proposition de Barère en attaquant nommément Thomas Paine, qui avait essayé de sauver Louis XVI et qui comptait beaucoup d’amis dans le parti girondin : « Depuis que les Brissotins sont disparus du sein de la Convention, dit Bourdon, il n’a pas mis le pied dans l’Assemblée, je sais qu’il intrigue avec un ancien agent du bureau des Affaires étrangères. » Personne ne défendit le fondateur de la liberté américaine. Sur la motion de Bentabole, la Convention décréta qu’aucun étranger ne pourrait plus être admis à représenter le peuple français. Il fut entendu cependant, sur la motion de Robespierre, qu’une exception serait faite en faveur des Belges et des Liégeois.

Le lendemain, Thuriot fit décréter que la mesure votée la veille aurait un effet rétroactif et que, par conséquent, tous les membres de la Convention nés à l’étranger cesseraient sur-le-champ d’en faire partie. Thomas Paine et Cloots furent ainsi expulsés tous les deux de l’Assemblée. Le lendemain, ils étaient arrêtés en même temps.

Cloots périra avec les Hébertistes. Fouquier-Tinville produira contre lui une dénonciation d’un déserteur prussien qui l’accusait d’avoir écrit trois lettres à Brunswick. Le déserteur ne précisait ni la date ni le contenu de ces lettres. Mais la conviction des jurés était faite depuis longtemps. Le Girondin Riouffe a raconté les derniers instants de Cloots dans ses Mémoires d’un détenu. Anacharsis mourut courageusement. De peur que ses compagnons de supplice n’appellassent un prêtre, « il prit la parole et leur prêcha le matérialisme jusqu’au dernier soupir ».

Thomas Paine et Dentzel évitèrent la fatale charrette, mais restèrent en prison pendant de longs mois. Paine fut victime des mauvais procédés de l’ambassadeur américain à Paris, Gouverneur Morris qui le desservit auprès de Robespierre en le représentant comme mêlé aux intrigues de Genêt contre Washington. Robespierre écrivit sur son carnet : « Demander que Thomas Paine soit décrété d’accusation pour les intérêts de l’Amérique autant que de la France ». Paine fut maintenu en prison même après thermidor, aussi longtemps que Gouverneur Morris resta ambassadeur à Paris. Il dut attendre l’arrivée de son successeur, le célèbre Monroë, pour recouvrer la liberté.

Albert Mathiez – La Révolution et les Étrangers. Cosmopolitisme et défense nationale

Barère : Je demande la parole pour relever une omission que Robespierre a faite dans son rapport. Le comité de salut public avait chargé son rapporteur de faire connaître au peuple français combien était nuisible à ses intérêts le décret qui appelait les étrangers à la représentation nationale. Quand nous avons la guerre avec une partie de l’Europe, aucun étranger ne peut aspirer à l’honneur de représenter le peuple français. Je crois qu’il n’est pas besoin de m’appesantir davantage sur cette idée ; il suffit de dire qu’appeler les étrangers à manier les rênes du gouvernement, c’est en exclure les Français. Ce n’est que par une philanthropie atroce que des ennemis de la patrie ont dit qu’il fallait choisir les défenseurs de la France dans la république universelle. L’exemple que je vais citer prouvera que les étrangers ne se sont mêlés parmi nous qu’afin de nous trahir. Un certain comte Poroni, Italien, était venu en France avec un ouvrage prétendu philanthropique ; il voulait être citoyen français et sollicita la Convention de lui donner ce titre ; il avait, disait-il, perdu tous ses biens en propageant dans son pays les principes de la raison. En bien ! citoyens, cet homme a disparu depuis quelque temps, et nous avons appris qu’à son retour en Italie ses biens lui avaient été rendus.

Bourdon (de l’Oise) : Je vais citer un autre fait à l’appui de ce que vient de dire Barère. On a vanté le patriotisme de Thomas Payne. Eh bien ! depuis que les Brissotins ont disparu du sein de la Convention, il n’a pas mis le pied dans l’assemblée, et je sais qu’il intrigue avec un ancien agent du bureau des affaires étrangères.

L’Ancien Moniteur (Tome dix-neuvième)

Vers le mois de décembre 1793, l’on proposa et l’on décréta l’exclusion des étrangers de la Convention. Nous n’étions que deux, Anacharsis Cloots et moi-même ; et je m’apperçus que Bourdon de l’Oise, qui fit à cette occasion, un long discours, le dirigeât plus particulièrement contre moi. Je pressentis que je ne jouirois encore de ma liberté que quelques jours de plus ; je résolus d’en profiter pour conclure mon ouvrage. Six à sept heures après l’accomplissement de mon travail, les comités de Salut public et de Sûreté générale ordonnèrent mon arrestation, et me firent conduire comme étranger au Luxembourg. Je vis heureusement avant de m’y rendre, le citoyen Joël Barlow, à qui je confiai le manuscrit de mon ouvrage ; et ne sachant quelle pourroit être en France la destinée ou de l’ouvrage ou de son auteur, je l’adressai aux citoyens des Etats-Unis d’Amérique.

Avec quel plaisir ne dois-je pas rendre ici justice aux personnes qui vinrent m’arrêter, et à l’interprête, chargé par le comité de sûreté générale de l’examen de mes papiers. Ils eurent pour moi, non seulement de l’honnêteté, mais du respect. Je n’oublierai pas non plus Benoît, concierge du Luxembourg. L’humanité avec laquelle il me traita, et qui ne m’étoit pas particulièrement réservé, a peut-être un peu contribué à le traduire au tribunal révolutionnaire, où il fut cependant acquitté.

Les américains, résidans alors à Paris, se rendirent en masse à la barre de la Convention, trois semaines après mon arrestation. Ils me réclamèrent comme leur compatriote et leur ami.

Le président Vadier, qui en sa qualité de président du comité de sûreté générale, avoit signé mon mandat d’arrêt, leur répondit que j’étois natif d’Angleterre ! Je ne reçus plus aucune nouvelle quelconque, depuis cette époque jusqu’à la chûte de Robespierre, le 9 thermidor, 27 juillet 1794.

Deux mois avant ce mémorable événement, une fièvre suivant toutes les apparences, mortelle, me saisit. Je me félicitai alors d’avoir achevé la première partie de mon ouvrage. Je m’attendois bien peu à voir prolonger plus longtemps mon existence, les personnes qui m’entouroient, s’y attendoient encore moins que moi, et je fis alors l’essai de mes propres principes. Je me rappele avec autant de reconnaissance que de plaisir, les attentions amicales qu’ont eu pour moi mes trois camarades de chambre, Joseph Vanhuele de Bruges, Charles Bastini et Michel Rubyns de Louvain. Il arriva que le docteur Graham et M Bond, chirurgien, attachés l’un et l’autre au général O’hara, se trouvèrent alors au Luxembourg. Peut-être comme attachés au gouvernement anglais, me dispenseroient-ils de mes remerciemens, mais je ne puis m’en dispenser moi-même ; je n’oublierai ni leur bonté, ni celle du citoyen Markoski, médecin du Luxembourg.

Tout me porte à croire qu’à cette maladie je dois cependant mon existence. Parmi les papiers de Robespierre, s’est trouvé la note suivante :

« Demander que Thomas Payne soit décrété d’accusation pour l’intérêt de l’Amérique autant que de la France ». Je ne puis attribuer la non exécution de cette intention qu’à mon état maladif.

La Convention a réparé autant qu’elle a pu, toutes les injustices que j’ai éprouvé, en me rappelant d’une voix unanime et publique dans son sein. Je m’y suis rendu afin de prouver que je soutiens une injure, sans souffrir qu’elle porte atteinte à mes principes, ni à ma manière générale d’être.

Thomas Paine – Le Siècle de la Raison. Seconde partie (Préface)

Toward the latter end of December of that year a motion was made and carried to exclude foreigners from the Convention. There were but two in it, Anacharsis Cloots and myself; and I saw I was particularly pointed at by Bourdon de l’Oise, in his speech on that motion.

Conceiving, after this, that I had but a few days of liberty, I sat down and brought the work to a close as speedily as possible; and I had not finished it more than six hours, in the state it has since appeared, before a guard came there, about three in the morning, with an order signed by the two Committees of Public Safety and Surety-General for putting me in arrestation as a foreigner, and conveyed me to the prison of the Luxembourg.

I contrived, on my way there, to call on Joel Barlow, and I put the manuscript of the work into his hands, as more safe than in my possession in prison; and not knowing what might be the fate in France either of the writer or the work, I addressed it to the protection of the citizens of the United States.

It is with justice that I say that the guard who executed this order, and the interpreter of the Committee of General Surety who accompanied them to examine my papers, treated me not only with civility, but with respect. The keeper of the Luxembourg, Bennoit, a man of a good heart, showed to me every friendship in his power, as did also all his family, while he continued in that station. He was removed from it, put into arrestation, and carried before the tribunal upon a malignant accusation, but acquitted.

After I had been in the Luxembourg about three weeks, the Americans then in Paris went in a body to the Convention to reclaim me as their countryman and friend; but were answered by the President, Vadier, who was also President of the Committee of Surety-General, and had signed the order for my arrestation, that I was born in England. I heard no more, after this, from any person out of the walls of the prison till the fall of Robespierre, on the 9th of Thermidor—July 27, 1794.

About two months before this event I was seized with a fever that in its progress had every symptom of becoming mortal, and from the effects of which I am not recovered. It was then that I remembered with renewed satisfaction, and congratulated myself most sincerely, on having written the former part of “The Age of Reason.” I had then but little expectation of surviving, and those about me had less. I know, therefore, by experience, the conscientious trial of my own principles.

I was then with three chamber comrades, Joseph Vanhuele, of Bruges; Charles Bastini and Michael Rubyns, of Louvain. The unceasing and anxious attention of these three friends to me, by night and by day, I remember with gratitude and mention with pleasure. It happened that a physician (Dr. Graham) and a surgeon (Mr. Bond), part of the suite of General O’Hara, were then in the Luxembourg. I ask not myself whether it be convenient to them, as men under the English government, that I express to them my thanks, but I should reproach myself if I did not; and also to the physician of the Luxembourg, Dr. Markoski.

I have some reason to believe, because I cannot discover any other cause, that this illness preserved me in existence. Among the papers of Robespierre that were examined and reported upon to the Convention by a Committee of Deputies, is a note in the hand-writing of Robespierre, in the following words:

« Demander que Thomas Paine soit décrété d’accusation, pour l’intérêt de l’Amerique autant que de la France. »

To demand that a decree of accusation be passed against Thomas Paine, for the interest of America, as well as of France.

From what cause it was that the intention was not put in execution I know not, and cannot inform myself, and therefore I ascribe it to impossibility, on account of that illness.

The Convention, to repair as much as lay in their power the injustice I had sustained, invited me publicly and unanimously to return into the Convention, and which I accepted, to show I could bear an injury without permitting it to injure my principles or my disposition. It is not because right principles have been violated that they are to be abandoned.

Thomas Paine – The Age of Reason. Part the Second (Preface)

Now, Thomas Paine suddenly struck across the path of my investigation as the mediator I had been seeking; not, indeed, the only one, but the chief. He was born an Englishman and belonged to the sect of Quakers; he emigrated to America, and when the colonies were still hesitating as to their action in their quarrel with the mother country, he spoke out plainly for autonomy, and then for a republic.

Finally, he came to France, and there, too, when, during the Legislative Assembly, men were disconcerted in presence of an incredible crisis, he spoke out plainly for a republic; he suggested doubtless to his friend Condorcet the plan of the first republican Constitution; he sat himself, although a foreigner, in the National Convention and on the Constitutional Committee, and he did not abandon the French Revolution until it had degenerated into the Terror, demagogism and, at last, the Empire. His career makes me think of those insects that fecundate flowers by transporting the pollen through space. If we had a really good biography of him it would, I imagine, contain a complete epitomized genealogy of the modern idea of a republic.

The name of “Payne” is frequently mentioned by the historians of the French Revolution, and always in such relations as prove that in the opinion of his contemporaries it was a very great name indeed. He figures among the eighteen illustrious foreign philosophers upon whom the Legislative Assembly conferred on August 6, 1792, the title of French citizen, for “having prepared the enfranchisement of peoples”; Wilberforce, Washington and Schiller are on the same list. He is elected to the Convention by four Departments, although neither a Frenchman nor a candidate, and absent.

Just imagine the popularity a foreign author would need to have to-day to win in this fashion the senatorial electors of a province! Would even Tolstoi succeed in doing so? The landing of Paine at Calais might be compared to that of President Krüger some time ago at Marseilles, with its salvos of artillery, its banquets, flags and orations.

He was manifestly regarded as the real liberator of America. Danton said to him: “What you have done for the happiness and liberty of your country, I have in vain tried to do for mine.” Brissot declared that the despots of Europe feared Paine more than an army. Later on, M. J. Chenier says: “He is endeared to all the friends of humanity”; Bonaparte, on his return from Italy, believes it his duty to visit him in his room, where he tells him that his Droits de l’homme has been the companion of his pillow, and that the author of such a work deserves a statue of gold.

And now, in the midst of all this, what is the action really exercised by this living idol? I no longer find any traces of it. What has he accomplished in the legislative work of the Revolution? We do not know. He is always to be found among the small group of the doctrinaire republicans of 1792, Condorcet, Brissot, Grégoire; he is their friend; we should, however, like to know if he is their inspirer. But what remains on the morrow of a conversation, a phrase, a word, which, perhaps on the evening before has solved a difficulty and lit up the entire path? Is anyone ever truly acquainted with the first author of a thought?

As to the famous books of Paine, “Common Sense,” the “Crisis,” the “Rights of Man,” “The Age of Reason,” at first they have a sale of hundreds of thousands of copies, and are translated into all languages. The first of these books is bound with the Contrat social of Rousseau in the same French edition, like a Bible in two parts. Furthermore, in 1832, the Sociétés des droits de l’homme et du citoyen draw from it a Catéchisme républicain for the political education of young Frenchmen. Then, according as the republican thesis begins to make its way, these republican writings lose their luster and their audacity. Nobody cares to look at them, because everyone knows what they are. Not being poems, but agents of revolution, their very success puts them out of fashion, for they are no longer useful. Which of us can say he has read them to-day?

In countries where the English language is spoken, these writings, with their robust eloquence, should, one would imagine, have remained popular. But in these countries Tom Paine has lost his reputation; and this is very natural; he has offended every prejudice to which the people of the Bible and of Custom cling with a sort of fierce timidity. Tom Paine has proved faithless to the mother country, then to the religion of his ancestors; he sneers at English traditions, denies the divinity of Christ—so Great Britain will have nothing to do with him; he is rude to Washington—so America will have nothing to do with him; he votes against the death of Louis XVI, so the French revolutionists will have nothing to do with him.

Finally, he does not belong to any compact group. He is an outsider, let him take the consequences. For all these reasons, he is bound to be, then, a wicked man, a drunkard, an atheist, a sort of antichrist. Even the Quakers repudiate him. During his lifetime tracts are published prophesying that he will be soon carried off by his boon companion Satan. While waiting for this catastrophe, the members of certain pious clubs burn him in effigy; he is caricatured, and has the ears of an ass on plates and beer-mugs; honest citizens have the initials T. P. stamped on the soles of their boots so that they can always trample on this heretic and renegade to his country. On the news of his death, patriots sing in the taverns:

The Fox has lost his tail,
The Ass has stopped his braying,
The Devil has carried off Tom Paine—
John Bull forever!

Never has a friend of the people suffered so much from the people’s hatred. Consequently, his books and his fame have been flung into the same common ditch, as usually happens to those whom society repudiates. This is doubtless the reason why, in my conversations with Englishmen and Americans, I have never been able to bring the singular personage whose attraction I felt out of the darkness that envelops him.

It is only by a very careful examination of his biographies, and especially of his diary, that I have finally succeeded in gaining some conception of the circumstances under the influence of which his idea of a republic took form and substance. And, in the second place, a similar examination of the content of this idea will show us that it had been until then unheard of, particularly in France, and that it still holds within itself, even at the present hour, a certain significance that has been, so far, unperceived.

The work which M. Aulard has published on the Histoire politique de la Revolution française throws considerable light upon this second point. We can easily deduce from this book that the French people, even in 1791, disliked the very notion of a republic, and that the latter owed its realization to the abrupt shock of events, every other issue being barred, and not to the preconceived design of any of the public men of the period, save and except of the man whom I regard as its true inventor, the phlegmatic and determined man who inferred the necessity of the republic from principles independent of the hour and of casualty.

[…]

Paine was also an adept at discussion, and, at first, discussion with himself; he knew how to extract ideas from the maze of impulsive prejudices. Shaded in a garden by some linden tree, or in the evening around the tea-cups, it is his pleasure to hold a debate, not on the chances of this party or that succeeding, which is, in his opinion only a “jockeyship,” but on the need of an entire upheaval, if total justice is to be realized.

Consequently, when, later on, he will stand in presence of the Conventionals, their discourses and their plans will strike him as the vague amplifications of young collegians, gleaned by them from their desultory readings. The only persons who look to him like adult statesmen are Condorcet and Brissot, who have traveled, who have seen and reflected. The others make the same use of words that they might make of a gesture or a cry, to relieve their nerves, not to objectivize their thought. They are children. But, then, he has the advantage over the French of two centuries of political self-cross-examination and self-possession.

This statement, however, requires some correction. Although an Englishman by temperament and education, he does not belong to the England of the classes, the England that is harsh to the poor. He is poor himself, he is one of the common people; and this fact, taken in connection with his miserable years of apprenticeship, is not, perhaps, without consequence for the future of the republic.

[…]

His mind is free, because it is altogether concrete. When we read his pamphlets, we are struck by the fact that his eloquence is compounded of things rather than of words. His imagination adheres strictly to reality, it does not devote itself to expression for the purpose of ornament, but to the impression in order to render it fixed and permanent as well as vivid and naked.

He deduces the rights of man from incidents in his own biography… […] His conclusion that the republic is “a government of justice” is not dictated to him by Plutarch’s “Life of Lycurgus,” but by what he has discovered during his walks in the streets or in the country. Upon this groundwork of concrete and common experience he reasons, asserting that the common sense is the only authority, and that a blacksmith’s apprentice is as likely to possess this common sense as a doctor of theology.

His method of reasoning is also common; there is no preliminary imitation, no technical jargon—“You have not read Plutarch? Nor Montesquieu? Nor Rousseau?—that is a pity; but it has nothing to do with my demonstration. I do not suppose that you are in possession of any fundamental principle except common sense.”

“Common Sense” is precisely the title of Paine’s first pamphlet, which is the first defense of the modern republic. […] There is nothing in his discourses that resembles in the slightest degree the rhetorical abstractions of our Revolutionary orators or their melodramatic emphasis.

Paul Desjardins – Thomas Paine: father of republics

(in Life and Writings of Thomas Paine, 1908)

ANYONE TRACING THE PEDIGREE OF OUR POLITICAL ideas must be struck by the importance, and by the sheer eventfulness, of the late eighteenth century. Between about 1770 and 1800, many of the crucial concepts, terms, divisions, and arguments that still define our political life seemed to burst into the world in fierce and fiery succession.

This was the era of the American Revolution and the French Revolution, and we have long since fallen into the comfortable habit of attributing the explosion of political philosophy and drama of that time to those monumental upheavals. The American Revolution—the first successful colonial revolt in history—gave birth to a creedal nation embodying the idealism of the Enlightenment, whereas the French Revolution launched in earnest the modern quest for social progress through unyielding political action guided by uncompromising philosophical principle. In these great crucibles of revolution was forged the frame of modern politics, or so the argument goes.

There is of course much truth to this cliché, but it is a partial, or perhaps a secondhand, truth. In fact, the late eighteenth century was the scene of a great Anglo-American debate about the meaning of modern liberalism—a debate that has since shaped the political life of Britain and America, and by now that of a great and growing portion of humanity beyond them. The American Revolution embodied that debate, and the French Revolution intensified it, but the debate preceded them both and has long outlasted them.

The ideals of the American founding were championed by statesmen-revolutionaries who disagreed among themselves about the practical significance of those ideals. The disagreements did not take long to surface and to break the politics of the new republic into distinct camps that in many ways have endured. The actual parties to the struggle in France, meanwhile, the Jacobins and Girondists, monarchists and aristocrats, have no real parallels in contemporary politics. But the parties to the intense Anglo-American debate about the French Revolution—a party of justice and a party of order, or a party of progress and a party of conservation—bear a plain paternal resemblance to the parties that now compose the politics of many liberal democracies, including our own. In both cases, the parties to the great debate of the late eighteenth century clearly prefigured key elements of the left-right divide of our time. The arguments between them had to do with much more than the particular promise and peril of the American or French revolutions, and they have lasted because they brought to the surface a disagreement within liberalism that has never lost its salience.

There are no perfect representatives of the two major parties to the great debate of that age, but there may well be no better representatives than Edmund Burke and Thomas Paine. Burke was an Irish-born English politician and writer, a man of intense opinions with an unrivaled gift for expressing them in political rhetoric. He was his era’s most devoted and able defender of the inherited traditions of the English constitution. A patient, gradual reformer of his country’s institutions, he was among the first and surely the most adamant and effective critics of the radicalism of the French Revolution in English politics.

Paine, an English-born immigrant to America, became one of the most eloquent and important voices championing the cause of independence for the colonies, and then, as revolution brewed in France, he became an influential advocate of the revolutionaries’ cause as an essayist and activist in Paris and London. A master of the English language, Paine fervently believed in the potential of Enlightenment liberalism to advance the cause of justice and peace by uprooting corrupt and oppressive regimes and replacing them with governments answerable to the people. He was a brilliant and passionate advocate for liberty and equality.

Each was both a man of ideas and a man of action—a man of powerful political rhetoric and of deep and principled commitment to a cause. Each also saw in the debates of the age far more than the particulars of the events that launched them. The two men knew each other, met several times, exchanged letters, and publicly answered one another’s published writings. Their private and public dispute over the French Revolution has been called “perhaps the most crucial ideological debate ever carried on in English.” But their profound disagreement extends well beyond their direct confrontations. Each voiced a world view deeply at odds with the other over some of the most important questions of liberal-democratic political thought. While the capacious arguments of the time surely could not be fully captured in the debate between Burke and Paine, the important questions at stake can be far better understood by examining the two men’s views with care. And yet the precise terms and subjects of their disagreement (especially as it relates to matters other than the French Revolution itself) remain to a surprising degree underexamined. […]

Paine understood politics as moved by principles, and he thought that political systems had to answer to the right kinds of philosophical ideals—especially equality and liberty. However well established and grand they might be, however deep their roots might reach, all regimes had to be evaluated by how well they advanced these basic human goods. Thus, political principles and their instantiation in political actions are key to Paine’s teaching and present themselves far more prominently in the foreground of his writing than even in Burke’s. In an 1806 letter, Paine wrote this about himself: “My motive and object in all my political works, beginning with Common Sense, the first work I ever published, have been to rescue man from tyranny and false systems and false principles of government, and enable him to be free and establish government for himself.” Paine sought for the theories and ideas underlying political life, and argued that only a government that answers to the right theories and ideas can make any claim to legitimacy.

Yuval Levin – The Great Debate: Edmund Burke, Thomas Paine, and the Birth of Right and Left

Thomas Paine was a unique political thinker. Writing at the end of the eighteenth century while a revolutionary tide swept over North America and Europe, he had an unrivalled reputation not just as a democratic polemicist but also as an activist politician. He lived in England, the new United States, and France, and was hailed by all those eager for an anti-monarchical political order in the Atlantic world. Hated and feared by conservatives in England and America, Paine was nonetheless suspect to the most radical French revolutionaries. Extraordinary because he came not from the cultured classes but from the common folk, he expressed their political feelings and ushered in a new era of political rhetoric and public commitment.

Bruce Kuklick – Introduction à Thomas Paine : Political Writings

The Friends of the People (Joseph Priestley & Thomas Paine) (15 November 1792) - Isaac Cruikshank

PEUT-ÊTRE que les sentimens, contenus dans cet Ecrit, ne sont pas assez à la mode pour obtenir les suffrages de tout le monde. La longue habitude de croire qu’une chose n’est pas injuste, lui donne une apparence de justice, et fait élever d’abord un cri général en faveur de l’usage. Mais le tumulte s’appaise : le temps convertit plus de monde que la raison.

Un long et violent abus du pouvoir est ordinairement ce qui occasionne la recherche des droits sur lesquels ce pouvoir est fondé ; et les violences qu’on emploie contre ceux qui font ces recherches, les entraînent toujours plus loin qu’ils n’avoient intention d’aller. Le roi d’Angleterre a cru avoir le droit de soutenir le parlement, dans ce que celui-ci appelle aussi ses droit ; et le peuple Américain étant excessivement opprimé par le roi et le parlement, il est indubitablement fondé à discuter les prétentions de l’un et de l’autre, et à rejetter également leurs actes.

L’auteur de cette brochure a évité avec soin tout ce qui est personnel. On n’y trouvera ni compliment, ni censure particulière. Le sage, l’homme de bien n’a pas besoin des éloges d’un pamphlet : et ceux dont les opinions sont injustes et contraires aux avantages de leur pays, reviendront d’eux-mêmes ; ou il seroit inutile de chercher à les convertir.

La cause de l’Amérique est à beaucoup d’égards la cause du genre humain. Plusieurs circonstances prouvent déjà, (et il s’en élèvera beaucoup d’autres à l’appui,) que tous ceux qui chérissent l’humanité, doivent prendre part à notre querelle et à nos succès. Désoler un pays avec le fer et le feu, déclarer la guerre aux droits les plus naturels de l’homme, exterminer de paisibles citoyens : voilà à quoi doit s’intéresser quiconque a reçu de la nature le pouvoir de sentir ; et c’est dans cette classe que se range l’auteur de cet Ecrit, en dépit de tout esprit de parti. […]

Philadelphie, le 14 février 1776,

~

De l’Origine et du But du Gouvernement en général, avec quelques remarques sur la Constitution angloise.

QUELQUES écrivains ont tellement confondu la société et le gouvernement, qu’il est maintenant très-difficile de distinguer ces deux choses. Cependant elles diffèrent entr’elles, et par leurs principes et par leur origine. La société est le résultat de nos besoins, et le gouvernement de notre perversité. Le premier nous offre positivement le bonheur par l’union et l’amour de ses divers membres ; l’autre nous l’assure négativement en réprimant nos vices : l’un excite la concorde ; l’autre crée des distinctions : enfin, le premier protège ; le second punit.

L’ordre social est toujours un bien ; mais le meilleur gouvernement est un mal nécessaire, et le plus mauvais un mal insupportable ; car lorsque dans un gouvernement nous endurons les mêmes maux, auxquels nous serions exposés dans un pays qui seroit sans gouvernement, nos souffrances sont augmentées par la réflexion, qui nous montre que nous en sommes nous-mêmes les auteurs. Le gouvernement, ainsi qu’un vêtement, est la preuve que notre innocence est perdue. Les palais des rois ont été bâtis sur les débris des berceaux d’Eden. Quand l’homme écoutoit docilement les impulsions d’une conscience pure, égale, il n’avoit pas besoin d’autre législateur : mais en changeant, il a senti qu’il étoit nécessaire de céder une partie de sa propriété naturelle pour concourir aux moyens de pouvoir conserver le reste ; et en cela il n’a fait que suivre cette prudence, qui, toutes les fois qu’il est forcé de choisir entre deux maux, le porte à préférer le moindre. Le gouvernement n’ayant donc qu’un seul but, celui d’une sûreté générale, il s’ensuit que celui qui, par sa forme, paroît le plus propre à garantir cette sûreté, avec le moins de dépenses et le plus d’avantages, est préférable à tous les autres.

Pour nous former une idée simple et juste des principes et des motifs d’un gouvernement, supposons un petit nombre de personnes se rencontrant dans un coin écarté de la terre, et n’ayant aucun rapport avec le reste de ses habitans. Ces gens nous représenteront les premières peuplades des diverses contrées de la terre, ou même celles du monde entier. Dans cet état de liberté naturelle, la société sera leur premier objet. Mille motifs différens les y exciteront ; les forces de l’homme toujours si peu proportionnées à ses besoins ; la nature de son âme si peu faite pour une solitude continuelle, et sans cesse portée à rechercher des consolations et des secours auprès d’un autre être, qui, à son tour, éprouve les mêmes besoins. Quatre ou cinq de ces infortunés rendront, en se réunissant, leur séjour supportable au milieu du plus vaste désert ; mais un seul ne pourrait y rien faire. Quand il aurait abattu un arbre pour se construire une maison, il n’aurait pas la force de le charrier, et, s’il le charriait, il lui serait impossible de le faire tenir debout. La faim le détournerait à tout instant de son travail, et chaque besoin différent le conduirait eu différens endroits. Que dis-je ? les maladies, le malheur appelleraient bientôt la mort ; et il aimerait, sans doute, mieux périr que de supporter une si triste vie.

La nécessité, semblable à la puissance de la gravitation, réunirait donc bientôt nos nouveaux émigrans dans un état de société dont les avantages leur suffiraient, et rendraient les lois et le gouvernement inutiles, tandis qu’ils resteraient parfaitement justes les uns envers les autres. Mais, comme rien sur la terre ne peut demeurer exempt de vice, il est indubitable qu’à mesure qu’ils surmonteraient plus aisément les premières difficultés de l’émigration, ils se relâcheraient de leurs devoirs et de leur attachement mutuels, et ce changement leur indiquerait la nécessité d’établir un gouvernement quelconque, pour remédier à l’oubli des vertus.

C’est au pied d’un grand arbre, que la nouvelle colonie établirait d’abord sa maison d’état, et qu’elle se rassemblerait pour délibérer sur les affaires publiques. Il est probable que leurs premières lois n’auraient que le titre de réglemens, et n’indiqueraient d’autre punition que le mépris. Dans ce premier parlement, chaque membre de la république siégerait par un droit naturel.

Cependant, à mesure que la colonie deviendrait plus nombreuse, l’intérêt public croîtrait ; et la distance qui séparerait la demeure des divers colons, les empêcherait de pouvoir tous se réunir, à chaque occasion, dans un même endroit, comme lorsqu’ils étaient peu, que leurs habitations étaient rapprochées, et que les affaires publiques n’étaient pas de grande conséquence. Alors ils consentiraient à nommer pour l’administration des lois et des affaires, quelques-uns d’entre eux, qui seraient supposés avoir les mêmes intérêts que ceux qui les auraient choisis, et qui pourraient agir de la même manière que si toute la république se réunissait. Si la colonie croissait encore, il faudrait augmenter à proportion le nombre des représentans ; et, pour que l’intérêt d’aucune partie de l’Etat ne fût lésé, on le diviserait en cantons, qui, chacun, nommerait un nombre convenable de députés.

Pour que les représentans n’eussent pas bientôt un intérêt différent de celui des électeurs, la prudence dicterait de renouveler souvent les élections ; car, étant obligés de revenir, au bout de quelques mois, parmi leurs concitoyens, la crainte d’y être mal accueillis, serait un garant de la fidélité de leur conduite. Comme ces changemens fréquens établiraient un intérêt commun entre toutes les parties de l’Etat , elles se secourraient naturellement les unes les autres ; et c’est de là, non du titre insignifiant de roi, que dépend la force du gouvernement, et le bonheur de ceux qui sont gouvernés.

Voilà donc l’origine et l’institution du gouvernement. Il n’est fondé que sur l’inefficacité de nos vertus morales pour régir le monde. Voici en même temps les principes et le but du gouvernement : c’est d’assurer notre liberté et notre tranquillité ; et, quelque éclat qui éblouisse nos yeux, quelque bruit qui frappe nos oreilles, quoique le préjugé change nos volontés, et l’intérêt obscurcisse notre entendement, la simple voix de la nature et de la raison dit que ce but seul est juste.

J’ai tiré mon idée de la forme du gouvernement d’un principe naturel, qu’aucun art ne peut changer ; c’est que, plus une chose est simple, moins elle est sujette à se déranger ; et, si elle se dérange, plus elle est facile à réparer…

LE SENS COMMUN [COMMON SENSE], 

adressé aux habitans de l’Amérique,

par THOMAS PAINE,

Secrétaire du Congrès pour les Affaires étrangères, pendant la guerre de l’Amérique, et Membre de la Convention Nationale de France, en 1792.

Traduit de l’anglais par F. Lanthenas

The idea of rights sits at the core of Thomas Paine’s political philosophy. Rights are the organizing principle of his thought and the prime concern of all his writings about government. But the clearest and most accessible elucidation of Paine’s idea of rights comes not in any of his essays on political questions, which all take a certain notion of political and natural rights for granted, but in an extraordinary letter he wrote to Thomas Jefferson in the momentous year 1789.

The note, apparently a follow-up to a discussion between the two men, summarizes Paine’s own views on the question of rights in the midst of the chaos and excitement of the revolution in France. The revolutionaries said they were dedicated to the “rights of man,” but what exactly did that mean? Paine begins, in the great Enlightenment-liberal tradition, by imagining a founding:

Suppose twenty persons, strangers to each other, to meet in a country not before inhabited. Each would be a Sovereign in his own natural right. His will would be his law, but his power, in many cases, inadequate to his right; and the consequence would be that each might be exposed, not only to each other, but to the other nineteen. It would then occur to them that their condition would be much improved if a way could be devised to exchange that quantity of danger into so much protection; so that each individual should possess the strength of the whole number.

In this situation, he suggests, the people would trade freedom for protection, but they would not quite give up their basic presocial rights. Instead, they would build on them:

As all their rights in the first case are natural rights, and the exercise of those rights supported only by their own natural individual power, they would begin by distinguishing between those rights they could individually exercise, fully and perfectly, and those they could not. Of the first kind are the rights of thinking, speaking, forming and giving opinions, and perhaps are those which can be fully exercised by the individual without the aid of exterior assistance; or in other words, rights of personal competency. Of the second kind are those of personal protection, of acquiring and possessing property, in the exercise of which the individual power is less than the natural right. . . . These I consider to be civil rights, or rights of compact, and are distinguishable from natural rights because in the one we act wholly in our own person, in the other we agree not to do so, but act under the guarantee of society.

This cogent description grounds rights in a highly individualistic understanding of the citizen. It sees social and political bonds as the products of individual choices driven by calculations of utility and need. Every citizen has the right to freedom of action, and when an individual right cannot be exercised individually, citizens draw on the power of the state to put their rights into practice. This power is not a gift of society; it is an entitlement—access to it is the reason we enter into society. We form societies to protect and vindicate preexisting natural rights, and what we call our civil rights are means of drawing upon the common capital of society so that natural rights can be given effect. As Paine puts it in Rights of Man, “society grants [the citizen] nothing. Every man is a proprietor in society, and draws on the capital as a matter of right.”

This means that the rights we have in society and the rights we have by nature are in essence rights to the same things—and especially to freedom of choice. “Man did not enter into society to become worse than he was before, nor to have fewer rights than he had before, but to have those rights better secured,” Paine writes. He thus sees men in their natural state transformed into citizens for the protection of their rights, and he describes society explicitly as the product of this utilitarian arrangement. In Rights of Man, he offers this description in the form of three essential premises of his political thought:

First, That every civil right grows out of a natural right; or, in other words, is a natural right exchanged. Secondly, That civil power properly considered as such is made up of the aggregate of that class of the natural rights of man, which becomes defective in the individual in point of power, and answers not his purpose, but when collected to a focus becomes competent to the Purpose of every one. Thirdly, That the power produced from the aggregate of natural rights, imperfect in power in the individual, cannot be applied to invade the natural rights which are retained in the individual, and in which the power to execute is as perfect as the right itself. We have now, in a few words, traced man from a natural individual to a member of society, and shown, or endeavored to show, the quality of the natural rights retained, and of those which are exchanged for civil rights.

Society is therefore a means to accomplish what each individual has the right but not the ability to accomplish. For Paine, this means it is above all a means to enable choice, or the freedom to shape our own future uncoerced—a means to the radical liberation of the individual from the burdens of his circumstances, his given nature, and his fellow man. Equality, individualism, and natural rights (some transformed into civil rights) are descriptive and prescriptive facts regarding the human condition, but personal liberty—the right to choose—is the end toward which we aim in politics. Societies exist to protect acts of choice, by meeting animal necessities on the one hand and by protecting individuals from coercion on the other. This means that government itself, in protecting and giving effect to the rights of individuals, must be understood as a chosen arrangement defined by clear contractual rules.

Like most political thinkers of his day, Paine often refers to society as a contract, though he is always sure to insist that he means a contract not between the people and the sovereign power, but rather among the people themselves. “It has been thought a considerable advance towards establishing the principles of Freedom to say that Government is a compact between those who govern and those who are governed,” Paine notes in Rights of Man, “but this cannot be true, because it is putting the effect before the cause; for as man must have existed before governments existed, there necessarily was a time when governments did not exist, and consequently there could originally exist no governors to form such a compact with.” Reaching back as always to beginnings for his reasoning, Paine thus describes the social contract in starkly individualist terms: “The fact therefore must be that the individuals themselves, each in his own personal and sovereign right, entered into a compact with each other to produce a government: and this is the only mode in which governments have a right to arise, and the only principle on which they have a right to exist.”

Yuval Levin – The Great Debate: Edmund Burke, Thomas Paine, and the Birth of Right and Left

Although it has not always been the case in the past, Thomas Paine now tends to be viewed as more than a pamphleteer. He is often considered as an “activist-thinker” or as an “intellectual” and even more as a thinker. Yet his system of thought is not fully coherent and he sometimes expressed divergent, if not contradictory, positions during his life, which has often been underlined by critics and scholars. The fact that his writings were published in specific, often polemical, contexts precluded long theoretical expositions as he adopted a pedagogic strategy that made him suppress the philosophical underpinnings of some of his conclusions. One of the main ideas he stuck to, that government is based on a social or political contract and that only the latter can guarantee the legitimacy of governing bodies, is no exception to this rule. The fact that he never wrote a theoretical treatise about the social contract but instead included pages presenting elements of theory on which he relied to present his arguments in the polemical works he published forces the reader to piece together the parts of his theory scattered throughout his various writings. To a certain extent they make up a system of thought that can be reconstructed, although it is not fully consistent. Paine started to define the content of the agreement on which a legitimate government should be based in 1776 in Common Sense. He then developed this initial position mainly in Dissertations on Government (1786), in Rights of Man (1791–1792), and in Dissertation on the First Principles of Government (1795).

Although Paine’s social contract theory can be seen as central in his political system of thought, as the controversy with Edmund Burke clearly shows, it has not yet been given the full attention it deserves by scholarship in a complete and systematic study of his ideas on this subject, a project I began in my book La pensée politique de Paine en contexte. It is not possible to explore here all the issues raised by Paine’s handling of the social contract. I will instead present and analyze the major features of his social contract theory, which was not merely a synthesis of what other thinkers such as Locke or Rousseau said.

Paine’s starting point is the original or natural equality of rights among all men.

~

A few years before, in Dissertations on Government, Paine had used the phrase “the original contract” several times to appropriate this notion and include it in his immanent form of contractualism.

This writing is less well-known and has been less studied than Common Sense or Rights of Man. Yet it marks an essential stage in Paine’s trajectory as a political thinker since he developed his conception of a republican regime in it. He explained that the political contract was an agreement that rejected despotism as the signers of the contract gave up “the assuming right of breaking and violating their engagements . . . or defrauding, imposing or tyrannizing upon each other,” which is the other side of the coin or rather the back page of the contract if one assumes that the front page is the procedure through which fundamental liberties are warranted by handing over imperfect rights. Therefore Paine recommended a contract that establishes freedom as “non domination,” a concept set forward by Philip Pettit who asserts that Paine should be considered as “a republican” given the fact that this scholar reinterpreted “republicanism” as distinct both from Appleby’s and Baylin’s conceptions.

Paine’s social contract is also “liberal” or rather gives birth to a liberal government whose primary function is to protect the rights and liberties of individuals. […]

In the “Plan of the Declaration of Rights,” which he may have written with Condorcet during the winter of 1792–1793 when they were both members of the Comité de constitution that was to devise a new constitution for France after the abolition of monarchy, Article 31 reads: “Men, gathered together in society, should have the legal means of resisting oppression.” It substantiates the fact that he seems to view it as a civil right.

Paine’s British opponents in the Rights of Man controversy somehow stepped into that breach to denounce Paine as an advocate of anarchy and sedition. For example, in Slight Observations upon Paine’s Pamphlet (1791), Thomas Green stated the following charge: “we find him claiming certain natural rights, which are retained against the invasion of the civil power . . . and in which the power to execute them is as perfect as the right itself. I do not understand his meaning, except it be, that a citizen may lawfully shake off his allegiance, and rebel against the civil power, whenever he is out of humour with it.” However, Paine did not make it clear whether the right of revolution was an individual or a collective right or in other words whether it was a perfect or an imperfect right to quote the categories of his own typology. As an individual alone cannot lead a political revolution and needs the help of others to carry it out, one may argue that the right of revolution falls into the group of “imperfect” rights, whereas it might be surmised that the right to resist individually would be a perfect one.

Carine Lounissi – Thomas Paine’s Reflections on the Social Contract: A Consistent Theory?

(in New Directions in Thomas Paine Studies )

Meanwhile, the Revolution continued to march in the same direction into which the weight of its first errors had necessarily dragged it. After the National Guard has demanded and obtained by menaces from the Assembly its consent to the death of twenty-nine of its own members, Robespierre requires a law to be passed “against foreigners.”

Paine employed whatever prestige was left him in saving some of these foreigners. He spent the whole summer of 1793 in retirement; he lodged in an old abandoned residence of Madame de Pompadour. However, certain persons soon began to recall the fact that Paine himself was not to the manor born; he came from somewhere else. His origin, name, language, all proclaimed the foreigner. Then, he was the friend of the Girondists, and the dregs of the Parisian populace were convinced that the Girondists had plotted against the national unity, because they hated Paris.

The month of October, 1793, was one long crisis. A decree of the Convention enacted on the third that the Girondists, “as agents of the English faction,” should be tried before the Revolutionary Tribunal. In his report, the Conventionnel Amar denounced Thomas Paine as equally guilty—that very Thomas Paine whom England had, notwithstanding, proscribed. “He had,” said Amar, “dishonored himself during the trial of Capet by supporting Brissot and daring to talk about the dissatisfaction of the United States of America.” But Robespierre, having caught the Girondists in his net, was contented, and scorned to support an accusation against the author of the “Rights of Man” for the present. However, on the tenth of October, it was decreed that all Englishmen should be arrested; several young republicans from across the Channel fled stealthily, first to Paine, then beyond the frontier. Now, on the very day upon which the decree was issued, Paine, on his side, was writing to Jefferson, advising the United States to take the initiative in convoking a congress of peace at The Hague, the object of which should be to guarantee freedom of commerce and to reconcile hostile nations: it was the sole chance of saving the rights of man—with innocent internationalism on one side, venomous nationalism on the other, and both of them manifesting themselves simultaneously. You see how far apart the gulf had grown between Paine and the Revolution.

However, he sees that Brissot and his other friends have been cut off from the land of the living. The benches around him in the Convention were empty, and the Terrorists soon returned to the charge against Paine himself. Bourdon de l’Oise denounced him in the Convention on the twenty-sixth of December. The accusation, as might naturally have been expected, was based on his “connivance with the foreigners,” and this “connivance” was wrapped up in deep mystery. “I know,” said Bourdon, “that he has been intriguing with an ex-agent of the Foreign Office.” That was all ; the accusation was of the vaguest, and therefore, the more impossible to meet. When Paine became aware of it, he was somewhat taken aback by the strange methods of discussion adopted by his « Nationalist » opponents. “I should have wished,” he said, in his honest simplicity, “that Bourdon de l’Oise had taken the trouble to make himself better acquainted with the facts, before rising to speak against me.” Barrère defended the thesis upon which Bourdon had founded his charge. “It is necessary that the French people should understand how injurious to its interests is the decree that allows foreigners to form a part of the national representation.” Robespierre was silent, but the Assembly divined his wishes. It showed its docility by decreeing that “no foreigner could be permitted to represent the French people.” So Thomas Paine and the Prussian humanitarian, Anacharsis Clootz, found themselves excluded from the Assembly.

Two days afterwards, the Committee of General Safety ordered them both to be arrested. Paine had passed the night with a few American friends, and, in the morning, was awakened by a commissary of police and some of the National Guards. A perquisition was made in his domicile in his presence, and he was then conducted to the prison of the Luxembourg, where he remained for more than eleven months, escaping the guillotine by a miracle.

At all events, this tedious incarceration was a benefit to him in one respect: he was not caught up in the deluge of tyranny that followed. He was really freer in a dungeon than he would have been outside, for he was, at least, sheltered from informers. And then, during the spring of 1794, France had to submit to a regime that was, in every respect, directly opposed to his doctrine of the equality of rights and of a real republic: there was not a single liberty for which he had struggled that was not flouted and crushed.

Yet, for all that, in the midst of all the terrible forces that had been let loose, Thomas Paine was quietly philosophizing in his prison. He was arranging methodically his ideas upon religion. It was not solely in order to distract his mind from dwelling on external events that he was doing so; he was too much of a journalist to allow his thoughts to loosen their hold on the actual; and, in fact, the question of religious belief was as actual at this period as anything well could be. As a result of the maxims of the Terror, fetichism began to have a new and flourishing life. The origin of all the deadly errors of the time lay in a certain confused theology which went back many centuries behind the Declaration of Rights, and which was, in all respects, the downright contradiction of every principle embodied in that document. For the universal, humanitarian, rational God to whom Voltaire said: “Thou hast not given us hearts to hate or hands to butcher one another ; grant that all men may hold in horror the tyranny that would constrain the soul!” was gradually substituted an ancient, tribal God, jealous and murderous.

He was not known as God, but as La Patrie (the Fatherland), and sometimes even as Liberty, officially as Reason, or rather as the Supreme Being. But, by whatever name He might be styled, He was actually a god like the Yavah of Deborah and Gideon, and His devotees, the “patriots,” felt themselves bound by an inexorable rule, a rule obeyed without examination, to use the saber and the knife of the guillotine against “incivism,” I was almost going to say, against the “uncircumcized.” All the servants of this deity had to swear to love certain objects and to hate certain other objects. The wives, children and relatives of the accused were all involved in the same destruction; sepulchers were violated; war was waged against stones, for men spoke in the Convention the language that is found on a Moabite or Assyrian stela, talked of razing rebellious cities, like Toulon and Lyons, to the ground, and of abolishing their very names, so as to kill them even in the memory of men. And this new religion has a whole liturgy of rites—those rites that have always characterized holy wars, or the wars of “the pure with the impure”—before God was conceived as one and universal.

The time had arrived, therefore, for the grand idea of the Eighteenth Century, Humanity, to be resuscitated, if the new aberration was to be successfully confronted.

And this is just what Paine endeavored to do in his “Age of Reason.” A government emancipated from tyranny—and that was the sole form of government he favored—could be maintained only among a people that had arrived at the “age of reason”; that is to say, at the age of free thought. The man who does not flatter himself that he possesses definite truth, but who modestly seeks to see clearer, and who has learned the habit of self-criticism, is alone preserved from wishing to tyrannize over consciences; he alone has the republican spirit. But Robespierre and his acolytes, being disciples of Rousseau, proved that they were incapable of thinking freely. Did they even know what sort of a thing free thought was? In their natural religion, they dogmatized, they excommunicated, just as the Pope did in his literal religion.

Paine had observed this phenomenon, he had noted that the intolerant spirit of ecclesiastical persecution had been transported into politics, and that the Revolutionary Tribunal had taken the place of the Inquisition. No one would have expected that the Profession de foi du Vicaire Savoyard would have given birth to such servitude. Thomas Paine has the same beliefs as the Vicaire Savoyard, but his method is very different. He is not like the village priest, an “Orpheus singing primal hymns”; he is an utilitarian who consults experience. Instead of setting forth as primary truths his own inner illuminations, he finds the marks of the truth of a religion in the proofs it is able to show of its capacity for insuring the general happiness of mankind. A religion which stimulates men to hate and slaughter one another cannot help being false. The true divine is the human.

True religion, then, does not consist in pure good will, which simply renders the individual himself blameless, but in carefully planned and efficacious beneficence. It is the imitation of God as Creator and Father, as Reason and Love. Far from this true religion having been revealed to us by the agency of a primitive instinct and afterwards again discovered in the recesses of our souls “in the silence of prejudices,” it is a recent acquisition of experience, valuable in proportion to the high price paid for it, and in proportion to its salutary consequences. It is necessary to preserve this acquisition and to increase it still further.

Thus the conscience of the modern man is really a product of history; but its authority is not the less sure on that account; the very reverse is the case, for as it is the authority of an authentic experiment prosecuted from age to age, this modern conscience has the right to sit in judgment on the religious conceptions of the past; in the Bible, it makes selections; it retains all that is conformable to reason and promotes fraternity; it rejects all the irrational marvels, all the “Christian mythology,” and it particularly thrusts aside the barbarous commandments given by the national Jewish God to His people. The exclusivism of the synagogue is certainly detestable, and it is necessary to deprive it of the prestige it has gained by a pretended conformity to the will of God. The philanthropist Jesus did his best, because of his natural goodness, to free his contemporaries from this notion; but he was the victim of the kindliness of his heart, a victim well worthy of pity and still an object of veneration.

Such is a summary of the ideas of Paine on religion; they are, in my opinion, much nearer to those of Voltaire than to those of Rousseau; but they differ from Voltaire in tone and accent, and are far more popular, serious and tender.

None of the pamphlets of Paine won him more enemies than this little book of rational theology. He touched the English reader on his sensitive point, his reverence for the “Holy Scriptures.” From that moment, the malignant hatred of the pious met him at every turn and blackened his character with indefatigable zeal.

Yet, it had never been his intention to wound the feelings of anybody; all his purpose was to render testimony to the truth as he saw it. He had written the “Age of Reason” with profound conviction: it was to be his last will and testament. He completed it in prison, in daily expectation of death, which everything predicted to be inevitable. From the cells next his own, he saw the departure, in tumbril after tumbril, of Hérault de Séchelles, Clootz, Camille Desmoulins, Danton, etc., all gagged by their judges, as had been the Girondists. In a single night, 168 prisoners were dragged from the Luxembourg, and of these 160 were guillotined the next day. What chance had Paine, then, of surviving them? Doubtless he was an American citizen; but Gouverneur Morris, the official representative of the United States, had abandoned him. Some of his fellow-citizens settled in France addressed, indeed, a petition to the Convention (January 27, 1794) praying for his liberation; but at that very moment, Vadier, one of the accusers of the man they were trying to save, was president of the Assembly; Vadier, instead of answering yes or no, buried the protest under a heap of meaningless phrases. Paine was, therefore, to all appearances, lost. He was undisturbed, devoting all his care to the preservation of his papers and the composition of a farewell dedication to his fellow-citizens of North America.

The circumstance which saved his life was quite fortuitous: it was simply the negligence of his jailers. The door of his cell was open and thrown back against the wall of the corridor on the night when a keeper went round to chalk on it the death sign for the following morning. In a fit of absent-mindedness he wrote the name of Paine on the inside of the door. The commissary who, before daybreak, passed along the corridor, ordering the condemned prisoners to come out of their cells, saw nothing on one particular door, and went on. Then came the ninth Thermidor, the downfall of the Terror and the general jail delivery.

Yes, delivery for the other captives; Paine, who had been forgotten by the executioners, was now forgotten by the liberators. He wrote to the Convention on the nineteenth Thermidor, reminding it that he was still in existence and demanding his release; the communication never reached the Legislature, so he continued to crouch in that Luxembourg cell of his the whole autumn; he was very ill, exhausted by the bad air and the bad food, and suffering from an abscess in the hip which was rapidly undermining his health. Fortunately for him, his friend Monroe had replaced his personal enemy, Morris, as United States Minister. Monroe at once interfered, and Paine was restored to freedom. The author of the “Age of Reason” was, then, again among the living. The decree excluding him from the Convention being annulled, he again took his seat in it on the eighth of December, like the pallid ghost of the days, already far distant, when the republic had been inaugurated with shouts and hurrahs. Of the nine members of the Constitutional Committee only two were left: Sieyes, who owed his safety to his pliancy, and Paine, who never bent to anything or anybody.

After the Terror had been once banished, it was the terror of the Terror that governed. The pendulum had swung backward. Just as in 1792, all imaginable measures were adopted to prevent the slightest possibility of the revival of royal despotism and of the past, so, two years later, all energies were devoted to the task of rendering the existence of a new Robespierre forever impossible and of killing forever the recent past, more hated than that of old. The longing for security, after months of chaotic confusion, is likely to reach a degree of savage exasperation in the bosom of the honest bourgeois.

So Thomas Paine, who preserved his normal serenity, found that he had to pass once more from the right to the left. A while ago, an “aristocrat” in the eyes of the Terrorists, he is now a democrat from the standpoint of the Thermidorians. But it was not because he really oscillated. It was his opinion that principles which could be influenced by circumstances had no genuine foundation in the heart. He pardoned everybody. Why not? None of the people had done him wrong. The experience he had under gone had not in the slightest degree shaken his confidence in the people. It was not, he believed, the people that had imprisoned and persecuted him, but a faction that had usurped the popular power. The people is, and not the less on that account, the legitimate sovereign, the only sovereign that has the right to establish a government by the election of representatives, who are delegated, not to issue decrees suggested by passing whims, but to enact general and durable laws.

If the Constitution had been obeyed, these acts of arbitrary power which now revolted everyone would have been rendered impossible. What constitution? That of Condorcet or that of Herault? It did not make any difference, provided that it was a written, printed constitution, containing a certain number of articles, a constitution which each citizen could carry in his pocket. Despotism arises only when people place themselves at the mercy of events. The evil is that the republic has no stable defensive organization, that liberty is not regulated. This thesis was developed with great force by Paine in his dissertations on the “First Principles of Government,” published in July, 1795, just when the Constitution of the Year III was the subject of deliberation. It was a liberal constitution enough, but it was never popular. It was a prudent return to the vote by qualification, to the regime of the middle classes.

Because the poor have brandished their pikes during the past riotous days, the poor are to be deprived of the right of voting. A strange but yet natural mode of reasoning! Boissy expounds it in explicit terms: “We ought to be governed by the best. The best are the best educated and those most interested in the maintenance of the laws. Now, with very few exceptions, you will find such persons only amongst those who possess property. A country governed by men of property is in the social order.” It was, in all its nakedness, the society of classes against which Paine had always protested. He could not permit such a theory to be advanced without raising his voice against it. Although enfeebled by sickness, he forced himself to come to the Convention (seventh of July, 1795). He remained standing in the tribune while the secretary read a translation of his discourse. After apologizing for his long, involuntary absence, he affirmed the constancy of his republicanism, and recalled the initial meaning of the French Revolution as indicated by the Declaration of Rights.

Now, the proposed constitution was completely out of harmony with the latter; by withdrawing universal suffrage from the people, it showed that it was not truly republican. To introduce political right as an attribute of property was to strike with inertia a system of government whose very essence was life and movement. Important words these, but they were not listened to. Paine seemed not to understand the situation. The Constitution was a confiteor that the Convention knew itself to be unpopular, that it was about to disappear, and that its only chance of returning to power was to conciliate the respectable classes. The speech of Paine was heard with deference, but found no echo; the French translation was not even published.

It was the last time that the champion of the Republic was to intervene in the affairs of France. The Convention was dissolved on the twenty-sixth of October, 1795, and Thomas Paine became a private citizen.

He continued to vegetate in Paris under the Directory, surrounded by a few faithful disciples and forgotten by the public. Yet he still tried to contribute, for the sake of a distant future, to the progress of republican morals and republican religion, the want of which had just made the Revolution a failure. He had a French translation published of the “Age of Reason,” the book in which the modern conscience first dared, without indirection and without sarcasm, to set itself up as the judge of Christian traditions, and laid the basis of a purified religion, reduced to the only beliefs which appeared necessary as a foundation of fraternity among men. […]

Naturally he was one of the first adherents, if he was not the instigator, of Theophilanthropy. […] But he did not remain long with the Theophilanthropists. The latter, fearing to wound the sympathies of anyone, avoided stating categorically what they did not believe. This reticence by no means suited the taste of Thomas Paine, who was always frank and outspoken.

Nevertheless the followers of this religion were gaining some footing, and eighteen churches were abandoned to them. They even installed themselves in Notre Dame for a time. Then came the Concordat, and the Theophilanthropists, with other non-conformists, had to vanish into obscurity.

When the priests returned openly and the peals of the bells again rang out in triumph, the temper of Thomas Paine was not at all in tune with the change. In his passing freak of ill-humor, he even wrote to Camille Jordan, who was in favor of toleration, a letter of protest. The kind of worship that commended itself to Paine was of the silent, meditative order: no bells or organs or trumpets for him! No manifestations that are likely to arouse hostility, either. Have not recent experiences taught us to distrust whatever tends to overexcite the sensitive element in man’s nature? The influence which is gained over him by such methods is neither legitimate nor prudent: he is led like a somnambulist, it may be to misery, it may be to crime. He must be liberated from such a yoke; every religion which has any end in view except the happiness of humanity is a public peril, etc.

But apparently the First Consul had not the least intention of liberating his fellow-citizens.

Paine had at first believed in Bonaparte. The latter, on his return from Italy, had caressed and cajoled him with the skill of which he alone had the secret. What if this Bonaparte was predestined to destroy all antiquated despotisms? Perhaps even William Pitt would find his match in him! For it was just the moment when rumors were abroad that the conqueror of Italy was meditating a descent on England. At this news the old English radical fairly quivered with hope: why should a general of the French Revolution land in Britain if not to emancipate the English people, and at last bring to them that long-desired republic which could alone procure peace?

The abandonment of this fine plan for the liberation of England and the departure of Bonaparte for Egypt cruelly deceived Thomas Paine. But if the departure of the First Consul was a disappointment, how much more so was his return! After the eighteenth Brumaire, France no longer offered any field of activity to a counselor of the people, for the people no longer influenced events. They were politely dispensed from the trouble of watching over their own interests. And, should any of them exhibit a tendency to meddle with public affairs notwithstanding, he encountered a diligent police and a determined censorship that quickly brought him to his senses. “The love of order,” has become, according to the formula of Fouchè, “the first of public virtues.” Woe to the man who shows himself devoid of it! And so Nicholas de Bonneville, Paine’s host and good friend, is locked up in prison and his journal, Le Bien Informé, is suspended, because he has compared Bonaparte to Cromwell. The Terror has apparently come to life again, not more cruel, but chronic, regular, and with every chance of surviving.

It was the rebound of the rock of Sisyphus. This time Thomas Paine gave it up. All his dreams had been vanquished, and he was beginning to feel the weight of his advanced years—he was near seventy. So he wanted rest, wanted a holiday, the society of dumb nature. A longing to till the land, to live on his farm at New Rochelle, took hold of him, and he bade a last farewell to the feverish agitations of unhappy Europe.

He embarked at Havre on the first of September, 1802, and, on the thirtieth of October, after an absence of fifteen years, years filled with strife and trouble, he again saw the shores of America.

Paul Desjardins – Thomas Paine: father of republics

(in Life and Writings of Thomas Paine, 1908)

THE name of Thomas Paine is so familiar to every one, that had we not been previously acquainted with each other, I should have contrived to have had an interview with him, during my residence in Paris. Nearly ten years had elapsed since we were last together, and I felt deeply interested in learning his opinions concerning the French revolution, after all the experience, which so long a period of uninterrupted storms and convulsion, must necessarily have afforded him. Accordingly, he was amongst the first on whom I called, and I have since been frequently in his company.

It was not without considerable difficulty that I discovered his residence, for the name of Thomas Paine is now as odious in France as it is in England, perhaps more so. […]

After having mounted to the second story, I rang at the bell, and on a jolly looking woman opening the door, I asked in a meek and humble tone (for the reception I had met with at the Palais Royale was still in my mind) whether Mr. Paine lived there? After having surveyed me from head to feet, she answered in the affirmative, but said she believed he was not at home, and requested me to enter. As soon as I had walked into her apartment, she held the candle pretty close to my face, and said, “Do you wish to see Mr. Paine?” to which I instantly replied, “I am just come from England, and am extremely anxious to see him, as I am an old acquaintance whom he has not seen these ten years.” Even as the sun dispels the mist, so did this well-timed declaration change the features of her countenance, which now became nothing but smiles and joy. She continued; “He is taking a nap; but I’ll go and wake him.”

In two minutes she returned, and ushered me into a little dirty room, containing a small wooden table, and two chairs. “This,” said she, “is Mr. Paine’s room!” I never sat down in such a filthy apartment in the whole course of my life. The chimney hearth was an heap of dirt; there was not a speck of cleanliness to be seen; three shelves were filled with pasteboard boxes, each labelled after the manner of a minister of foreign affairs, correspondance Americaine, Britannique; Française; Notices politiques; Le citoyen Français, &c. In one corner of the room stood several huge bars of iron, curiously shaped, and two large trunks; opposite the fire place, a board covered with pamphlets and journals, having more the appearance of a dresser in a scullery than a side-board. Such was the wretched habitation of Thomas Paine, one of the founders of American Independence; whose extraordinary genius must ever command attention; and whose writings have summoned to action the minds of the most enlightened politicians of Europe! How different the humble dwelling of this Apostle of Freedom, from those gorgeous mansions tenanted by the founders of the French Republic!

After I had waited a short time, Mr. Paine came down stairs, and entered the room, dressed in a long flannel gown. I was forcibly struck with his altered appearance. Time seemed to have made dreadful ravages over his whole frame, and a settled melancholy was visible on his countenance. He desired me to be seated, and although he did not recollect me for a considerable time, he conversed with his usual affability. I confess I felt extremely surprised that he should have forgotten me; but I resolved not to make myself known to him, as long as it could be avoided with propriety. In order to try his memory, I referred to a number of circumstances, which had occurred while we were in company, but carefully abstained from hinting that we had ever lived together. He would frequently put his hand to his forehead, and exclaim, “Ah! I know that voice, but my recollection fails!” At length, I thought it time to remove his suspense, and stated an incident which instantly recalled me to his mind. It is impossible to describe the sudden change which this effected in his appearance and manner; his countenance brightened, he pressed me by the hand, and a silent tear stole down his cheek. Nor was I less affected than himself. For some time, we sat without a word escaping from our lips. “Thus are we met once more Mr. Paine,” I resumed, “after a long separation of ten years, and after having been both of us severely weather-beaten.” “Aye,” he replied, “and who would have thought that we should meet at Paris?” He then inquired what motive had brought me here, and on my explaining myself, he observed, with a smile of contempt, “They have shed blood enough for liberty, and now they have it in perfection. This is not a country for an honest man to live in; they do not understand any thing at all of the principles of free government, and the best way is, to leave them to themselves. You see they have conquered all Europe, only to make it more miserable than it was before.” Upon this, I remarked, that I was surprized to hear him speak in such desponding language, of the fortune of mankind, and that I thought much might yet be done for the Republic. “Republic!” he exclaimed, “do you call this a Republic? why, they are worse off than the slaves at Constantinople; for there, they expect to be bashaws in heaven, by submitting to be slaves below, but here, they believe neither in heaven nor hell, and yet are slaves by choice. I know of no Republic in the world, except America, which is the only country for such men as you and I.

Henry Redhead Yorke – Letters from France In 1802

Le couronnement de Voltaire

Le couronnement de Voltaire

Le couronnement de Voltaire

"étouffé sous des roses"

HOEL


The pomp and circumstance of the celebratory events of the spring of 1778, given perfect closure by Voltaire’s timely death in May of that same year, have long attracted the attention of scholars. Rich in inherent drama, the apotheosis, too, is wonderfully symbolic, capturing perfectly the apparent triumph of the Enlightenment in France. The archenemy of the Catholic Church, a man who had been twice imprisoned in the Bastille, unceremoniously beaten by the lackeys of the Chevalier of Rohan, chased from the borders of his homeland, and forced to abide the public burning of scores of his publications, Voltaire, king of the philosophes, was now crowned in the country that had disowned him. By 1778, it seemed clear, the philosophes had arrived.

Darrin M. McMahon

« La pompe et le faste des célébrations du printemps 1778, auxquels la mort opportune de Voltaire en mai de la même année donna une parfaite conclusion, ont depuis longtemps attiré l’attention des érudits. Riche en dimension promotionnelle, l’apothéose est aussi merveilleusement symbolique, capturant parfaitement le triomphe apparent des Lumières en France. L’ennemi juré de l’Église catholique, un homme qui avait été deux fois emprisonné à la Bastille, battu sans ménagement par les laquais du Chevalier de Rohan, chassé des frontières de son pays natal et obligé de supporter l’autodafé public de plusieurs de ses publications, Voltaire, roi des philosophes, était maintenant couronné dans le pays qui l’avait renié. En 1778, cela semblait clair, les philosophes étaient arrivés. »

LA PHILOSOPHIE DE FERNEY

On a souvent répété que l’œuvre de Voltaire était toute négative : c’est une vue très superficielle et très inexacte. Il a sans doute beaucoup critiqué, démoli : c’est visible ; mais il a excité dans les esprits des sentiments, formé des convictions dont la valeur était toute positive. Il a voulu donner aux hommes des idées réalisables en bien-être.

Tous les abus présentaient leurs titres historiques : une revision était nécessaire. L’erreur et le mal avaient pour base des représentations du développement humain qu’il fallait remplacer. La philosophie voltairienne ne pouvait se passer d’un support historique. L’Essai sur les mœurs le lui avait donné pour les temps modernes : il se compléta et s’étendit par divers écrits qui éclairèrent philosophiquement tout le champ du passé.

CRITIQUE HISTORIQUE ET CRITIQUE RELIGIEUSE.

Les ouvrages d’histoire réguliers que Voltaire composa après 1756 sont, dans notre rapide étude, négligeables : ce n’est pas par eux, mais par ses multiples pamphlets que Voltaire renouvelle le contenu historique des intelligences. Il n’y a point d’époque dont il n’ait disputé, point de problème devant lequel il ait reculé.

Il a une assurance étourdissante, il jongle avec les faits et les textes. On ne finirait pas de faire le compte de ses légèretés, de ses bévues, de ses inexactitudes, de ses fantaisies. Il n’a rien de la méthode prudente, de la sévérité scrupuleuse des érudits d’aujourd’hui. Il travaille trop vite, il juge d’un coup d’œil, et tranche avec plus d’autorité que de compétence. Il est pétri de préjugés et de passions. C’est un amateur et un journaliste. Mais il est curieux, il est intelligent, il a le désir du vrai, il a l’intuition des problèmes à poser, il a le sens de la critique et de la tâche qui lui incombe. Il a vu parfois ce que les érudits de métier ne savaient ou ne voulaient pas voir.

Il nous fait sourire aujourd’hui par ses réflexions sur la Chine et sur l’Inde. Mais il avait demandé son information sur l’Inde aux fonctionnaires de la Compagnie Anglaise des Indes, à Holwell, à Dow, au savant Français Le Gentil ; il a fait siennes leurs assertions. Ce qui est plus fâcheux, il a cru, avec d’autres, à l’authenticité de l’EzourVeidam que le chevalier de Maudave avait rapporté de l’Inde. Il s’est enthousiasmé pour la sagesse et l’antiquité des Chinois sur les récits des jésuites, du P. Lecomte, du P. du Halde, de P. Gaubil : Isaac Vossius, les savants anglais de l’Histoire universelle, de Guignes n’ont pas été plus froids.

Seulement tandis que la plupart des érudits et des vulgarisateurs s’efforçaient de concilier les annales de l’Inde et de la Chine avec l’histoire sainte, Voltaire triomphait des contradictions chronologiques, et accueillait avec joie tous les calculs qui vieillissaient les civilisations d’Extrême-Orient. Au travers de ses erreurs, il apercevait et faisait voir au public un grand fait, toute une humanité et des sociétés puissantes antérieures à la Bible et en dehors du plan de la Bible ; il ôtait des esprits non seulement le préjugé religieux, mais en même temps le préjugé occidental, qui ne cherche la civilisation que chez les peuples ayant recueilli le double héritage des traditions judéo-chrétienne et gréco-romaine.

Tout son effort fut de briser les cadres historiques dont on s’était jusque-là contenté. Il s’y appliqua avec une audace aventureuse, et parfois un peu à l’étourdie. Il se fit ainsi des affaires avec les érudits, gens prudents et méticuleux, et qui n’aiment pas les incursions des profanes sur leurs domaines. […]

Le mérite de Voltaire, qui n’est pas encore commun à cette date, c’est d’avoir compris qu’il n’y a pas d’histoire, surtout d’histoire ancienne, sans critique, critique des témoignages, critique des documents, discussions de date et d’authenticité des textes. Il se pose des questions, il a des doutes, que Montesquieu même, bien plus solidement instruit, ne concevait pas. Il a des idées sur la nature de la connaissance historique, sur les degrés et les instruments de la certitude. Il distingue les temps fabuleux, les temps héroïques, et les temps historiques : « l’histoire est née très tard ». Il veut qu’on aille aux sources, il sait combien les traditions orales s’altèrent vite. Il se défie des historiens qui ne sont pas contemporains des événements, et, chez ceux mêmes qui sont contemporains, de la crédulité, de l’intérêt, des passions.

Des mensonges imprimés, 1749. — Philosophie de l’histoire, 1765. — La défense de mon oncle, 1767. — Examen important de Milord Bolingbroke, 1767. — Le Pyrrhonisme de l’histoire, 1768. — Fragments historiques sur l’Inde, 1773. — La Bible enfin expliquée, 1776. — Un chrétien contre six Juifs, 1776. — Dictionnaire philosophique, art. ANTIQUITÉ, ANTIQUITÉ DES USAGES, CHRONOLOGIE, HISTOIRE, INCERTITUDE DE L’HISTOIRE, VÉRITÉ, etc.

La révolution française et la philosophie (Hoel)

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Plusieurs chapitres sont consacrés en partie ou en totalité à Voltaire dans La domination française :

« Bornes de l’esprit humain »

« Cartésianisme »

« Anglomania »

« Shakespeare – Calderón – Corneille »

« Des injures à notre nation »

« Conquérir l’Inde »

« Il est bon de faire connaître le génie des nations »

Couronnement de Voltaire à la Comédie Française, 3 Mars 1778. Gravure de Ch.-E. Gaucher d'après l'original de J.-M. Moreau (B.N., Paris)

Le petit nombre des élus sera toujours celui des penseurs.

Voltaire

Divisez le genre humain en vingt parts : il y en a dix-neuf composées de ceux qui travaillent de leurs mains, et qui ne sauront jamais s’il y a un Locke au monde ; dans la vingtième partie qui reste, combien trouve-t-on peu d’hommes qui lisent ! Et parmi ceux qui lisent, il y en a vingt qui lisent des romans, un qui étudie la philosophie. Le nombre de ceux qui pensent est excessivement petit, et ceux-là ne s’avisent pas de troubler le monde.

Voltaire

Vous les méprisez, les livres, vous dont toute la vie est plongée dans les vanités de l’ambition et dans la recherche des plaisirs ou dans l’oisiveté ; mais songez que tout l’univers connu n’est gouverné que par des livres, excepté les nations sauvages. […] il en est des livres comme des hommes : le très-petit nombre joue un grand rôle, le reste est confondu dans la foule.

Qui mène le genre humain dans les pays policés ? Ceux qui savent lire et écrire.

Voltaire

      D’ailleurs, je suis si insolent dans ma manière de penser, j’ai quelquefois des expressions si téméraires, je hais si fort les pédans, j’ai tant d’horreur pour les hypocrites, je me mets si fort en colère contre les fanatiques, que je ne pourrais jamais tenir à Paris plus de deux mois.

Voltaire

It would be difficult to write a more dramatic denouement to the life of France’s greatest man of letters. The aging philosophe, famed throughout Europe, returns to Paris after years of exile to claim the rewards of eighty-four years of labor. His final play, Irène, will be performed at the Comedie française, but the « modern Sophocles » becomes ill while finishing the piece and is rumored to be on his deathbed. He manages, nonetheless, to complete the work, enabling thousands to attend the opening performance on March 16, 1778, in his absence, including the Queen, the King’s brother, the Count of Artois, the Duke of Bourbon, and the cream of fashionable society. « Never was a gathering more brilliant, » exults the Correspondance litteraire, a leading newsheet of the day.

In the weeks following, the philosophe receives a constant stream of supplicants, well-wishers, and pilgrims. He has already administered a « blessing » to the grandson of Benjamin Franklin; given audience to the former first minister of state, M. Turgot; and encouraged his many subjects at the Académie française—d’Alembert, La Harpe, Condorcet, and Saint-Lambert. Now another wave of pilgrims descends, but he is forced to curtail these visits as his health is failing. The count of Argental and Jacques Necker, among others, are kindly told that the great philosopher is unwell, and are turned away at the door.

Such persistent demands, however, do not cease—the public’s clamor is too great—and so, reinvigorated by his glory, the philosopher musters the strength to personally attend a performance of his play. On March 30, he departs from his accommodations in Paris, the lavish Hotel de Villete, stopping first at the Académie française, where he oversees a special assembly convened in his honor. Ceremoniously ensconced in the president’s chair, a king at court, he hears himself compared to the greatest figures of French literature. Outside, a massive throng of adoring subjects awaits expectantly. The philosopher emerges. The crowd chants his name in unison, accompanying his carriage to the Comédie. And there, the final triumph. Entering the theater, the philosophe is met by cries of joy, wild applause, and shouting. Tears flow from the old man’s eyes. He is crowned with a garland of laurels. The curtain opens and his bust, the work of Lemoyne, is exposed on stage—a tribute to the glory of genius: « Long live our Homer! ».

At the conclusion of the spectacle, thousands more await the grand homme outside the theater. A genuine social mix with a strong popular character, the crowd, as witnesses will later recall, is moved by « explosions of joy, frenzy, enthusiasm, collective delirium. » Individuals mount the philosopher’s carriage to get a better look at the man, and supplicants strive to touch him, « as if he were a saint. » « Long live the defender of Calas! » The coach fades into the night, gilded by the reflections of torchlight, leaving behind a penumbra of immortality. In a stroke worthy of no other, François Marie Arouet, Voltaire, has attended his own apotheosis.

The pomp and circumstance of the celebratory events of the spring of 1778, given perfect closure by Voltaire’s timely death in May of that same year, have long attracted the attention of scholars. Rich in inherent drama, the apotheosis, too, is wonderfully symbolic, capturing perfectly the apparent triumph of the Enlightenment in France. The archenemy of the Catholic Church, a man who had been twice imprisoned in the Bastille, unceremoniously beaten by the lackeys of the Chevalier of Rohan, chased from the borders of his homeland, and forced to abide the public burning of scores of his publications, Voltaire, king of the philosophes, was now crowned in the country that had disowned him. By 1778, it seemed clear, the philosophes had arrived.

Darrin M. McMahon – Enemies of the Enlightenment. The French Counter-Enlightenment and the Making of Modernity

Voltaire avoit quatre-vingt-quatre ans lorsqu’il fit représenter cette tragédie, dans laquelle il y a encore quelques situations, quelques instans d’intérêt. Mais au fond, la fable de cette pièce a l’irremédiable inconvénient de mettre les personnages principaux dans une situation dont ils ne peuvent pas sortir.

C’étoit la première fois que l’auteur avoit occasion de peindre les mœurs du Bas-Empire, et la cour bysantine : c’étoit un cadre neuf au théâtre ; car on doit compter pour rien l’Andronic de Campistron, non qu’il soit sans intérêt, mais parce que l’auteur semble ne s’être pas même douté que la tragédie dût peindre des mœurs. C’est toujours un avantage pour le grand talent d’avoir à crayonner des mœurs nouvelles, quelques difficultés qu’elles présentent ; mais il faut qu’il ait tous ses moyens. Etoit-il possible que Voltaire les eût à quatre-vingt-quatre ans ? On doit plutôt s’étonner de trouver dans cette tragédie quelques morceaux qui rappellent le talent de l’auteur. On applaudit beaucoup à la première représentation un fort beau vers du rôle de Léonce, en réponse à Comnène, qui lui reprochoit sa morale comme un préjugé :

La voix de l’univers est-elle un préjugé ?

Les rapides révolutions de Bysance parurent heureusement exprimées dans ces vers qui ont du nombre, de la précision et de l’élégance :

Vingt fois il a suffi, pour changer tout l’Etat,
De la voix d’un pontife ou du cri d’un soldat.
. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Nous avons vu passer ces ombres fugitives,
Fantômes d’empereurs élevés sur ces rives,
Tombant du haut du trône en l’éternel oubli,
Où leur nom d’un moment se perd enseveli.

D’autres vers étonnèrent par le coloris poétique : celui-ci, par exemple, que dit Irène en parlant du mariage qui la fit impératrice, en la faisant si malheureuse :

On pare mes chagrins de l’éclat des grandeurs ;

et cet autre qui rend la même idée :

Je montai sur le trône au faite du malheur.

Au reste Irène fut bientôt oubliée : « Mais on n’oubliera jamais, dit la Harpe, ce triomphe du génie, décerné sur le théâtre de Paris, à l’homme extraordinaire qui, sentant sa fin prochaine, étoit venu chercher la récompense de soixante ans de travaux ; et qui, sans finir comme Sophocle, par un chef-d’œuvre, méritoit comme lui de mourir sous les lauriers. » Ce fut à la troisième représentation d’Irène que ce triomphe fut décerné à Voltaire, sur le théâtre de Paris. 

L’an 1778, le 16 mars, Première représentation d’Irène, dernière tragédie de Voltaire.

Ephémérides politiques, littéraires et religieuses (1812)

M. de Voltaire, étant venu au spectacle le lundi 30 mars, fut fêté avec ivresse par une foule immense d’admirateurs qui se précipitoient sur son passage, et qui firent retentir la salle d’applaudissemens infinis. Il fut couronné de lauriers dans le spectacle, et les comédiens en corps rendirent les honneurs de l’inauguration à sa statue, qui fut apportée sur le théâtre, et ornée de guirlandes. Madame Vestris lui récita les vers suivans, que la présence de ce grand homme avait inspirés à M. le marquis de Saint-Marc.

Aux yeux de Paris enchanté,
Reçois en ce jour un hommage
Que confirmera d’âge en âge
La sévère postérité.
Non, tu n’as pas besoin d’attendre au noir rivage
Pour jouir de l’honneur de l’immortalité.
Voltaire, reçois la couronne
Que l’on vient de te présenter ;
II est beau de la mériter,
Quand c’est la France qui la donne.

Extrait du Mercure de France.

Ce fut après ce pompeux couronnement, que Voltaire se plaignoit d’être étouffé sous des roses. Sa mort arrivée deux mois après ne justifia que trop cette plainte ; aussi Linguet s’écrioit-il alors : « Quelle fête, hélas ! De quels gémissements n’ont pas été suivis ces cris de joie ! Les lauriers apparens dont on couronnoit l’illustre octogénaire, étoient bien plutôt les guirlandes qui le dévouoient à la mort. Sans cette indiscrétion forcenée, sans ce délire factice chez ses prétendus amis, dont il a été la dupe et la victime,

Il vivrait, et sa vie eût comblé nos souhaits.

La seule fête digne de M. de Voltaire, c’étoit l’empressement du public à lire ses ouvrages ; c’étoit la réunion de toutes les voix en faveur de ceux où il développait les charmes du coloris le plus brillant dont jamais un écrivain ait eu le secret, sans qu’il en coûtât rien à la décence, sans exposer à rougir les fronts délicats, sans alarmer les consciences timorées ; espèce de fruits devenus rares dans sa vieillesse, malheureusement si féconde dans un autre genre. »

L’an 1778, le 30 mars, Couronnement de Voltaire à la Comédie Française.

Ephémérides politiques, littéraires et religieuses (1812)

Quarante-sept ans ont passé sur la cendre de Voltaire : près d’un demi siècle s’est écoulé depuis que l’auteur de Mahomet et de Mérope a cessé de vivre. C’est le 3o mai 1778, à onze heures du soir, que ce génie admirable s’est éteint ! C’est le 3o mai que la France a perdu le philosophe qui a rendu le plus de services à l’humanité, qui consacra sa vie entière à propager des vérités utiles, à inspirer l’horreur du fanatisme, à prêcher la tolérance, la première vertu et le premier besoin des hommes réunis en société.

On peut entendre encore aujourd’hui de la bouche de quelques Vieillards, le récit du triomphe et du couronnement de Voltaire à la sixième représentation d’Irène. Tous les témoins de cette imposante solennité, tous les acteurs de cette scène attendrissante n’ont pas encore été rejoindre celui qui en fut le héros. Les traits, la démarche, le costume, l’émotion du patriarche de Ferney, lorsqu’il rentra dans Paris après un long exil, sont bien présens à la mémoire de nos compatriotes plus que sexagénaires. Mais depuis la mort du marquis de Villevieille, il n’existe plus une seule personne qui ait vécu dans l’intimité de Voltaire. M. de Villevieille était parvenu à un très-grand âge, mais il a conservé jusqu’au dernier moment (mai 1825) toute la vivacité de son esprit. Admirateur passionné de l’immortel écrivain, chez lequel M. de Villette l’avait présenté, il le défendit, jeune encore, contre l’ingratitude de Laharpe et retrouvait à quatre-vingts ans toute sa chaleur, toute son énergie pour combattre et pour détruire les sottes calomnies, répandues par quelques imbécilles sur les derniers jours de son illustre ami.

J’ai souvent interrogé M. de Villevieille, je l’ai souvent entendu raconter les particularités les plus curieuses de la vie de Voltaire, et je vois que sur tous les points importans il est d’accord avec Wagnière, ce loyal et bon Suisse, que Voltaire avait pris pour secrétaire, et qui, pendant vingt-cinq années, ne cessa de donner des preuves du plus tendre attachement à celui qu’il appelle son maître et dont il parle dans ses Mémoires avec une bonhomie, une naïveté qui ne peuvent laisser aucun doute sur sa franchise.

On sait que Voltaire, cédant aux pressantes sollicitations du marquis de Villette, et surtout à celles de Mme Denis sa nièce, qui trouvait le séjour de Ferney fort triste, consentit à venir passer six semaines à Paris et qu’il y arriva le 10 février 1778, au moment même où l’on venait d’enterrer Le Kain. On a prétendu que le premier objet qui frappa sa vue en entrant dans la capitale, fut le convoi de ce grand acteur.Wagnière, qui était dans la voiture de Voltaire, ne fait pas mention de cette circonstance. Il affirme au contraire, que son maître n’apprit cette nouvelle que par le comte Dargental, et qu’elle lui fit faire un cri horrible.

Mais avant de parler des visites et des honneurs que l’on rendit au courageux défenseur des Calas, écoutons le récit que Wagnière fait du voyage dans lequel il l’accompagnait.

« La douleur et la consternation étaient dans Ferney lorsque M. de Voltaire en sortit le 3 février. Tous les Colons fondaient en larmes et semblaient prévoir leur malheur. Lui-même pleurait d’attendrissement. ll leur promettait que dans un mois et demi sans faute, il serait de retour, et au milieu de ses enfans. Il est si vrai que c’était là son intention, qu’il ne mit aucun ordre à ses affaires, et n’enferma ni les papiers de sa fortune, ni ceux de littérature. »

Ce voyage, pendant lequel Voltaire voulait garder l’incognito, fut, malgré lui, une promenade triomphale. Il fut reconnu d’abord à Bourg en Bresse et obligé, pour se soustraire aux avides regards de la foule qui assiégeait l’hôtel où il était descendu pendant qu’on changeait de chevaux, « de se faire enfermer à la clef dans une chambre du rez-de-chaussée de la maison. »

Le maître de poste, voyant que le postillon avait attelé un mauvais cheval, en fait mettre un autre, et dit, avec un gros juron : Va bon train, crêves mes chevaux, je m’en… Tu mènes M. de Voltaire.

A Dijon, où il s’arrêta vingt-quatre heures, les curieux payaient les servantes de l’auberge pour qu’elles laissassent la porte de sa chambre ouverte. Quelques-uns même voulurent s’habiller en garçon de cabaret, pour le servir à son souper et le voir de plus près.

On arrive enfin à la barrière de Paris, et les commis suivant l’antique usage, demandent en ouvrant la voiture, S’il n’y a rien contre les ordres du roi. Ma foi, Messieurs, répond Voltaire qui avait été d’une gaîté charmante pendant tout le voyage, Je crois qu’il n’y a ici de contrebande que moi.

Il est impossible de lire sans attendrissement les sages réflexions du bon Wagnière sur le nouveau genre de vie que son illustre patron fut obligé de prendre à Paris, et qui suivant cet excellent serviteur, conduisit si promptement le grand homme au tombeau. C’est à Mme. Denis surtout qu’il reproche d’avoir abrégé les jours de son oncle. C’est presque sur elle seule qu’il fait peser la terrible accusation d’avoir privé la France de dix années de gloire peut-être que lui promettait encore Voltaire.

Mais ces tristes révélations de Wagnière ne peuvent être reproduites dans un article de Journal, il faut examiner dans l’ouvrage même, les preuves dont il les appuie. Ce qui résulte positivement des faits rapportés dans ces mémoires, c’est que Voltaire voulait retourner à Ferney et qu’après avoir été étouffé sous des roses il éprouvait le besoin de respirer sous les arbres qu’il avait plantés.

Une des premières visites qu’il reçut, fut celle de l’abbé Gauthier, ex-jésuite et chapelain des Incurables, qu’il appelait, s’il faut en croire Wagnière, un bon imbécille. Cette visite donna lieu aux vers suivans :

Voltaire et Latteignant par avis de famille,
Au même confesseur ont fait le même aveu.
En tel cas il importe peu
Que ce soit à Gauthier, que ce soit à Garguille ;
Mais Gauthier cependant me semble mieux trouvé.
L’honneur de deux cures semblables
A bon droit était réservé
Au chapelain des Incurables.

Nous n’avons pas assez de place pour rapporter les détails que Wagnière donne sur l’agonie de Voltaire. Ces détails sont d’ailleurs fort connus. Mais nous croyons devoir citer le passage où sont si naïvement exprimés les regrets de cet honnête homme, lorsque les restes de son maître furent transportés en Champagne, dans l’abbaye de Sellières, dont Mignot, neveu de Voltaire, était abbé commandataire :

« O Voltaire ! est-il possible ? toi, être enterré dans une église de moines ! toi, faire dans vingt siècles encore la réputation d’une abbaye qui possède tes précieux restes ! Toi, homme extraordinaire, qui devait être inhumé extraordinairement ! Toi, qui m’avait recommandé cent fois de te faire ensevelir à Ferney, dans ta chambre des bains, au milieu de la colonie fondée par ta bienfaisance, que tes cendres auraient seules soutenue. O mon cher maître ! reçois l’expression de mes regrets : tu es renfermé dans le fond de mon cœur, tes mânes connaîtront ma douleur, car tu es immortel dans tous les sens. Si ceux qui devaient être à jamais touchés de ta perte t’ont sitôt oublié, ton chétif, mais fidèle serviteur, t’offre au moins tous les jours son hommage par ses larmes. »

Voilà ce que Wagnière écrivait trois ans après la mort de son bienfaiteur. Les vœux de cet honnête homme ont été, en partie, exaucés. Les cendres de Voltaire ne sont plus à l’abbaye de Sellières, elles furent transportées au Panthéon à l’époque où le Panthéon était ouvert aux grands hommes, avant qu’on y enterrât des sénateurs. Il est vrai qu’aujourd’hui la tombe de Voltaire n’est nulle part, mais son esprit est partout.

MÉMOIRES SUR VOLTAIRE ET SUR SES OUVRAGES.

Par Longchamps et Wagnière, ses secrétaires; 2 vol. in-8. Chez Aimé André, libraire, quai des Augustins, n. 59.

Le Miroir des spectacles, des lettres, des moeurs et des arts (Volume 6 – 1825)

Rien ne donne une plus vive idée de la transfiguration légendaire du patriarche de Ferney que les lettres de Mme Suard. Cette jeune femme de vingt-cinq ans éprouve devant le malin et pétillant vieillard « les transports de Sainte-Thérèse ». Elle ne ressent près de lui que de l’attendrissement et de l’enthousiasme. Elle lui demande sa bénédiction. Elle nous montre un Voltaire, bon, indulgent, attendri, adouci, le Voltaire des âmes sensibles.

Il mourait d’envie d’aller jouir de sa gloire. Le gouvernement n’était pas réconcilié : sur le bruit de sa maladie (en juillet 1774), l’intendant de Bourgogne recevait ordre de Versailles de saisir tous ses papiers, aussitôt qu’il serait mort. Mais on n’osait rien contre lui, tant qu’il vivait. La reine pleurait à Tancrède et manifestait le désir d’ « embrasser » l’auteur. D’Argental, le marquis de Villette l’appelaient à Paris ; Mme Denis avait envie d’y revenir. Le 5 février 1778, il partit « dans sa dormeuse, avec un petit poêle dedans ».

Il arriva à Paris le 10 février sur les trois heures et demie du soir, et se logea chez le marquis de Villette, rue de Beaune, à l’angle du quai des Théatins. On sait ce qui advint : il se grisa de sa gloire, et il en mourut.

Si le roi trop dévot ne permit pas à la reine de le voir, Paris l’en consola. Les visites affluaient rue de Beaune : les amis, les écrivains, les députations de l’Académie et de la Comédie-Française, Gluck, Mme Necker, la comtesse de Polignac, Mme du Barry, l’ambassadeur d’Angleterre, la loge maçonnique des Neuf-Sœurs, Franklin dont il bénissait le petit-fils en disant : God and liberty, toute sorte d’hommes et de femmes de tous les états. Le 16 mars avait lieu la première représentation de sa tragédie d’Irène, devant la reine et le comte d’Artois.

Remis d’une maladie qui avait fermé sa porte pendant trois semaines, il sortait en voiture au milieu d’une foule enthousiaste qui acclamait « l’homme aux Calas ». Il allait voir Turgot. Il se rendait le 30 mars à l’Académie, et de là, en magnifique habit, avec sa grande perruque, enveloppé de la pelisse que lui avait envoyée l’impératrice de Russie, il allait à la Comédie assister à la sixième représentation d’Irène. Un des acteurs lui posait sur la tête une couronne de laurier, et, à la fin de la pièce, toute la troupe assemblée sur la scène, son buste était couronné par Brizard en robe de moine, et baisé par les comédiennes. Il sortait à pied. Il visitait les princes d’Orléans, Sophie Arnould, et la marquise de Gouvernet, cette jolie Suzanne de Livry qui lui avait été infidèle cinquante ans auparavant.

Au milieu de toute cette agitation, il travaillait. Il avait fait adopter à l’Académie un nouveau plan du dictionnaire, et s’était mis aussitôt à l’exécution. Il absorbait 25 tasses de café en un jour, perdait le sommeil, se bourrait d’opium, délirait. Le 25 mai il était perdu. Il ressuscita un instant pour féliciter Lally-Tollendal de l’arrêt du Conseil qui cassait la sentence portée contre son père.

Les médecins Lorry et Tronchin n’avaient plus d’espoir. Tronchin épiait malignement comment le philosophe passerait ce « fichu moment ». Le philosophe voulait vivre. Il enrageait de n’avoir pas suivi le conseil de retourner à Ferney, il suppliait Tronchin de le « tirer de là ». Il souffrait d’horribles douleurs. Il avait peur de ce qu’on ferait de lui après sa mort. Il se souvenait de la Lecouvreur : il voulait éviter la voirie. Des prêtres s’agitaient : un abbé Gautier, le curé de la paroisse, qui était Saint-Sulpice. Il signa une confession de foi, et une rétractation qui fut ensuite jugée insuffisante : on lui apporta une autre déclaration. « Laissez-moi mourir en paix », dit-il.

Dès le 28 février à la première alerte, il avait mis sa vraie confession aux mains de Wagnière :

Je meurs en adorant Dieu, en aimant mes amis, en ne haïssant pas mes ennemis, et en détestant la persécution.

Il semble qu’il se soit rasséréné, quand il comprit que c’était bien fini, et qu’il ait accepté la nécessité. Il mourut le 30 mai 1778, sur les onze heures du soir.

L’archevêque de Paris et le curé de Saint-Sulpice lui refusèrent la sépulture. Le roi dit ou passa pour avoir dit : « Laissez faire les prêtres » ; ni le ministère ni le Parlement ne voulurent intervenir. Voltaire avait désigné pour sa sépulture l’étoile de la charmille de Ferney. Mais Ferney était loin : l’évêque d’Annecy était à craindre. Il fallait agir vite, prévenir la vengeance ecclésiastique. L’abbé Mignot mit le corps dans un carrosse, enveloppé de sa robe de chambre et coiffé d’un bonnet de nuit. Il l’emporta à l’abbaye de Scellières en Champagne dont il était abbé commendataire. Là, Voltaire fut mis en bière et enseveli (1er-2 juin). Le prieur qui l’avait permis fut destitué par l’évêque de Troyes.

Voltaire n’attendit pas longtemps sa revanche. La Révolution le ramena à Paris en juillet 1791. Un cortège triomphal, — municipalité, députés, magistrats, Académiciens, jeunes filles vêtues de blanc, canonniers et chœurs de l’opéra, — le conduisit au Panthéon au milieu de l’enthousiasme universel. Déjà pourtant l’évolution politique de la France laissait Voltaire en arrière : mais le peuple se souvenait du défenseur de l’humanité. C’était Calas qui conduisait Voltaire au Panthéon dans une apothéose.

Le lever de Voltaire (Jean Huber)

Le Lever du Philosophe de Ferney (Anonyme, d’après Jean Huber, vers 1772, Paris, B.N.)

Voltaire plantant des arbres (Jean Hubert)

Lacunes volontaires dans Wikipedia

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HOEL

Toute personne qui consulte Wikipedia et qui s’amuse à comparer des versions d’articles dans diverses langues se rend vraisemblablement compte à un moment ou un autre qu’il existe dans cette encyclopédie certaines lacunes qui ne peuvent pas être entièrement le résultat du hasard.

Voici un premier exemple : l’article « Ethnocide ». L’introduction dans sa version francophone est la suivante :

« L’ethnocide est la destruction de l’identité culturelle d’un groupe, sans détruire physiquement ce groupe (génocide) et sans forcément user de violence physique contre lui (persécution, déportation, enlèvement des enfants). Un ethnocide peut être la conséquence d’un changement économique ou social progressif ou d’une politique d’État, en cela ce terme peut concerner un grand nombre d’exemples ; on a qualifié d’ethnocide l’acculturation des Amérindiens ou des aborigènes d’Australie, les modifications profondes de la culture traditionnelle du Tibet en Chine, la russification des peuples premiers de Sibérie, l’assimilation des Aïnous du Japon et des Kouriles, la lutte de l’état indonésien contre l’animisme, l’arabisation des Berbères en Afrique du Nord ou encore la tentative de Franco d’éradiquer les langues catalane et basque dans les années 1930 en Espagne. »

Rien sur la France ?

Voici un deuxième exemple avec l’article « Léopold de Saussure » :

« Léopold de Saussure (1866–1925) est issu d’une illustre famille de savants suisses, d’origine française (protestants de Lorraine, réfugiés en Suisse dès 1636 avant la révocation de l’édit de Nantes).
Léopold de Saussure est un sinologue et astronome, officier de la marine française, pour laquelle il navigue comme lieutenant jusqu’en 1899, ce qui lui permis d’apprendre le chinois. C’est le fils de Henri de Saussure, et c’est un descendant d’Horace-Bénédict de Saussure, mais surtout, c’est le frère du linguiste Ferdinand et de René, un des principaux promoteurs de l’espéranto. Pour sa part, c’est un pionnier reconnu de l’astrologie et de l’astronomie chinoise, qui a publié ses travaux dans la revue T’oung pao entre 1907 et 1922, mais aussi dans les Archives des sciences physiques et naturelles de Genève… »

« T’oung Pao (en chinois 通報 ; en pinyin Tōngbào) est la 1re revue internationale de sinologie fondée en 1890. »

L’article comprend des « liens » et des « références », mais — contrairement à ce qui est la règle généralement suivie sur Wikipedia — pas de partie spécifiquement consacréé à la bibliographie.  Les « liens » citent deux livres : Les Origines de l’astronomie chinoise et Le Système astronomique des Chinois.

Il existe également une version en magyar (hongrois) et une autre en anglais. Dans ces deux versions apparaît un livre ignoré par la version française :

Extraits de l’article en hongrois :

« Élete, munkássága [Sa vie, son travail]

[…] Első jelentősebb publikációját Psychologie De La Colonisation Française címen 1899-ben jelentette meg. […]

Főbb művei [Principales oeuvres] Psychologie De La Colonisation Française: Dans Ses Rapports Avec Les Sociétés Indigènes. Paris: F. Alcan (1899. október 23.) Internet Archive »

Extraits de l’article en anglais :

« Léopold de Saussure (30 May 1866 – 30 July 1925) was a Swiss-born French sinologist, pioneering scholar of ancient Chinese astronomy, and officer in the French navy. After a naval career which took him to Indochina, China, and Japan, he left the service and devoted the rest of his life to scholarship. He was most famous for his studies of ancient Chinese astronomy. […]

Career […] From his early teens de Saussure set out to make a career in the navy, an undertaking which one historian called « a somewhat problematic undertaking in Switzerland. » Saussure, with his father’s permission, became a French citizen in order to enter the École Navale, and in 1885 went to sea as a cadet. In 1887, he successfully demanded admission to the Ecole des Langues orientales vivantes in Paris. […]

On his return to France, he applied his energies entirely to research. After publishing an article on Korea, he published his first major work, Psychologie De La Colonisation Française (1899). The volume offered an analysis of the assimilation of the French language among colonialized peoples. He echoed some of the linguistic concepts of his brother, Ferdinand, but subscribed, as Ferdinand did not, to the concept of a « psychological race » modeled on the concept « historical race » offered by Gustave le Bon. […]

Representative works :
—— (1899). Psychologie De La Colonisation Française: Dans Ses Rapports Avec Les Sociétés Indigènes . Paris: F. Alcan. Internet Archive »

« After publishing an article on Korea, he published his first major work, Psychologie De La Colonisation Française (1899). The volume offered an analysis of the assimilation of the French language among colonialized peoples. »

« Après avoir publié un article sur la Corée, il publia sa première oeuvre majeure, Psychologie De La Colonisation Française (1899). Le volume offrait une analyse de l’assimilation de la langue française chez les peuples colonisés. »

Le livre de Léopold de Saussure est une analyse de la politique assimilatrice des peuples colonisés entreprise par la France. Parmi les quinze chapitres se trouvent les suivants :

  • La doctrine de l’assimilation
  • Les effets de l’assimilation
  • L’assimilation par l’éducation
  • L’assimilation par les institutions
  • L’assimilation par la langue
  • Les congrès coloniaux de 1889 et les arguments de l’assimilation

La politique assimilatrice ne concerne donc pas que la langue, elle concerne l’éducation de manière globale et les institutions.

« Les races conquérantes les plus habiles ont compris la nécessité de ne pas heurter les croyances de leurs sujets et de respecter leurs institutions. Les Français, au contraire, essayent de transformer les sociétés indigènes avant même d’avoir assis leur conquête. Ils professent que les institutions, les croyances, les langues même, entretiennent l’hostilité des indigènes contre le nouvel état de choses, et que pour obtenir leur sympathie ou leur résignation, il n’y a qu’une méthode efficace : l’assimilation. »

« De même que les anciens conquérants espagnols voyaient dans les curieuses civilisations de l’Amérique centrale des pratiques diaboliques indignes d’être respectées et qu’il importait de vouer à une destruction immédiate, de même, dans les civilisations de l’Indo-Chine, dans ces monuments de la tradition et de la sagesse de peuples très affinés, nous ne voyons que des institutions hostiles à notre domination et que nous nous efforçons de saper pour transformer ces races à l’image de la nôtre.

La colonisation espagnole était basée sur l’assimilation par les croyances religieuses au nom d’un idéal dogmatique et absolu.

La colonisation française est basée sur l’assimilation politique et sociale au nom d’un idéal non moins dogmatique et non moins absolu. »

Léopold de Saussure – Psychologie de la Colonisation Française dans ses Rapports avec les Sociétés Indigènes (1899)

L’assimilation vise à « vouer à une destruction immédiate », à « saper » « les institutions, les croyances, les langues même » des peuples colonisés. Autrement dit il s’agit ni plus ni moins que d’ « ethnocides » : « la destruction de l’identité culturelle d[e]  groupe[s] ».

Léopold de Saussure fait remonter cet « idéal … dogmatique et … absolu » à la Révolution française :

« Pénétrée de cette idée consacrée par la Révolution, qu’il existe une formule absolue pour faire le bonheur des peuples, formule indépendante des temps et des lieux, la France s’attribue la mission d’en hâter l’avènement chez ses sujets. Elle est persuadée que sa gloire et ses intérêts sont également liés à la réalisation de cet idéal et l’assimilation morale des races les plus hétérogènes sur lesquelles elle a étendu sa souveraineté lui apparaît non seulement comme le but, mais surtout comme le moyen de sa domination. »

Cet « idéal … dogmatique et … absolu » de l’assimilation se trouve développé dans un long rapport de l’abbé Grégoire : Rapport sur la nécessité et les moyens d’anéantir les patois et d’universaliser l’usage de la langue française, et déjà dans un essai précédent : Essai sur la régénération physique, morale et politique des Juifs.

« Sans doute on parviendra quelques jours à extirper cette espèce d’argot, ce jargon tudesco-hébraïco-rabbinique dont se servent les Juifs allemands, qui n’est intelligible que pour eux, et ne sert qu’à épaissir l’ignorance ou à masquer la fourberie. »

Essai sur la régénération physique, morale et politique des Juifs (1789)

« Nous n’avons plus de provinces, & nous avons encore environ trente patois qui en rappellent les noms. »

« …les vraies dénominations prévaudront même parmi les ci-devant Basques & Bretons, à qui le gouvernement aura prodigué ses moyens : & sans pouvoir assigner l’époque fixe à laquelle ces idiômes auront entièrement disparu, on peut augurer qu’elle est prochaine. »

Rapport sur la nécessité et les moyens d’anéantir les patois et d’universaliser l’usage de la langue française (1794)

Le terme « régénération » utilisé par Grégoire est l’équivalent du terme « assimilation », lui-même synonyme du mot « ethnocide ». Grégoire ne veut pas seulement anéantir les « patois », il veut anéantir jusqu’aux noms de ceux qui les parlent et aux noms de leurs « provinces » (c’est pourquoi il utilise le mot « ci-devant » devant « Basques & Bretons »).

Dans l’article de Wikipedia sur l’abbé Grégoire, un paragraphe est intitulé : « Universaliser l’usage de la langue française et éradiquer les langues dites régionales ou minoritaires » :

« Dès le 13 août 1790, l’abbé Grégoire, membre de la Constituante, lance une importante enquête relative « aux patois et aux mœurs des gens de la campagne ». Puis, à partir de 1793, pendant la Convention, au sein du Comité d’instruction publique où il se montre très actif, il lutte pour l’éradication de ces patois. L’universalisation de la langue française par l’anéantissement, non seulement des patois, mais des langues des communautés minoritaires (yiddish, créoles) est pour lui le meilleur moyen de répandre dans la masse les connaissances utiles, de lutter contre les superstitions et de « fondre tous les citoyens dans la masse nationale », de « créer un peuple ». En ce sens, le combat de Grégoire pour la généralisation (et l’enseignement) de la langue française est dans le droit fil de sa lutte pour l’émancipation des minorités. En, 1794 l’abbé Grégoire présente à la Convention son « Rapport sur la Nécessité et les Moyens d’anéantir les Patois et d’universaliser l’Usage de la Langue française », dit Rapport Grégoire, dans lequel il écrit :
« […] on peut uniformiser le langage d’une grande nation […]. Cette entreprise qui ne fut pleinement exécutée chez aucun peuple, est digne du peuple français, qui centralise toutes les branches de l’organisation sociale et qui doit être jaloux de consacrer au plus tôt, dans une République une et indivisible, l’usage unique et invariable de la langue de la liberté. »

Nulle mention ici d’ethnocide, de génocide ou de génocide culturel, ni même de régénération. Au contraire, on y trouve des expressions nettement valorisantes :

« est pour lui le meilleur moyen de répandre dans la masse les connaissances utiles, de lutter contre les superstitions et de « fondre tous les citoyens dans la masse nationale », de « créer un peuple ». »

« dans le droit fil de sa lutte pour l’émancipation des minorités. »

Les formulations valorisantes sont d’abord celles de l’abbé Grégoire lui-même (« pour lui »), puis le rédacteur utilise l’expression « l’émancipation des minorités », qui n’est pas de Grégoire.

Emanciper les « minorités » en les faisant disparaître !

Voici ce qui est écrit dans la version anglaise de l’article :

« According to his own research, a vast majority of people in France spoke one of 33 dialects or patois and he argued that French had to be imposed on the population and all other dialects eradicated. According to his classification, which was not necessarily reliable, Corsican and Alsatian were described as « highly degenerate » (très-dégénérés) forms of Italian and German while Occitan was decomposed into a variety of syntactically loose local remnants of the language of troubadours with no intelligibility among them, and had to be abandoned in favour of the language of the capital. This began a process, expanded dramatically by the policies of Jules Ferry a century later, that led to increasing disuse of the regional languages of France, all of them being subsequently banned from public documents, administration and school. One effect of this was that non-French speakers often came to feel ashamed of their home languages through official exclusion, humiliation at school and rejection from the media as organized and sanctioned by French political leaders (see Vergonha). »

L’article en anglais renvoie au début à un article intitulé « Language policy in France ». Cet article existe également en français (« Politique linguistique de la France »).

A la fin de l’article, un autre renvoi mène à un article intitulé « Vergonha » :

Celui-ci existe en onze langues — Boarisch (Bavarois), Brezhoneg (Breton), Català (Catalan), Español, Euskara (Basque), Hrvatski (Croate), Lumbaart (Lombard), Occitan, Română (Roumain), Русский (Russe), Sardu (Sarde), mais pas en français.

« La vergonha (Occitan pronunciation: [berˈɣuɲɔ, veʀˈɡuɲɔ], meaning « shame ») is what Occitans call the effects of various policies of the government of France on its citizens whose native language was a so-called patois, a language spoken in France other than French, such as Occitan or one of the dialects of the langues d’oïl. Vergonha is being made to reject and feel ashamed of one’s (or one’s parents’) non-French language through official exclusion, humiliation at school and rejection from the media as organized and sanctioned by French political leaders, from Henri Grégoire onward. Vergonha, which is still a taboo topic in France where some still refuse to admit such discrimination ever existed, can be seen as the result of an attempted linguicide. »

« La vergonha (prononciation occitanne : [berˈɣuɲɔ, veʀˈɡuɲɔ], signifiant «honte») est ce que les Occitans appellent les effets de diverses politiques du gouvernement français sur ses citoyens dont la langue maternelle était un soi-disant patois, une langue parlée en France autre que le français, tels que l’occitan ou l’un des dialectes des langues d’oïl. La vergonha est faite pour rejeter et se sentir honteux d’une langue non-française, la sienne ou celle de ses parents, du fait de son exclusion officielle, de l’humiliation à l’école et de son rejet par les médias tel que l’ont organisé et sanctionné les dirigeants politiques français à partir d’Henri Grégoire. La vergonha, qui est encore un sujet tabou en France où certains refusent encore d’admettre qu’une telle discrimination ait jamais existé, peut être considérée comme le résultat d’une tentative de linguicide. »

Le mot « linguicide » de l’article en anglais renvoie à un article intitulé  « Language death » :

« In linguistics, language death (also language extinction, linguistic extinction or linguicide, and rarely also glottophagy) occurs when a language loses its last native speaker. »

Il n’existe donc pas d’article « Linguicide » en anglais. Par contre, il en existe un en français :

« Le linguicide est l’élimination concertée d’une ou de plusieurs langues par des mesures politiques explicites. Les États, sans prendre de mesures administratives, disposent de plusieurs instruments d’exécution dont les plus connus sont l’armée, l’école et les médias. Le phénomène de mort des langues peut aussi coïncider avec un ethnocide, c’est-à-dire la mort d’une langue et d’une culture. »

La bibliographie comporte deux titres … en anglais :

Amir Hassanpour, « The politics of A-political Linguistics: Linguists and Linguicide », in Rights to Language: Equity, Power, and Education, Robert Phillipon ed., Routledge, 2000, 320 p., pp. 33-39 (linguicide de la langue kurde)

Djamila Saadi-Mokrane, « The Algerian Linguicide » , in Algeria in Others’ Languages, Anne-Emmanuelle Berger ed., Cornell University Press, Ithaca and London, 2002, 246 p., pp. 44-58

« The Algerian Linguicide »

Djamila Saadi-Mokrane

« SINCE COLONIZATION and the emergence of a national movement, then Algeria’s independence in 1962, conflict has dominated the cultural and linguistic features through which people display their sense of belonging to a community. Some lay claim to the colonial legacy as an asset that opens a universal dialogue; others recognize only Arabic and Islamic currents; and still others seek to preserve the Berber characteristics of the primordial, pre-Islamic Algerian self. The issue of language arose with such a violence that, in the space of half a century, the death of three different languages was predicted: of Arabic during colonization, and of Berber, and French after the independence. “Linguicide” stands as a strategy elaborated to subjugate and reshape the identity of the country and its inhabitants by separating them from their points of reference.

For the French colonizer, it was necessary to cut to the quick the Arabic and Islamic roots of a conquered land in order to crush its core values, which offered a refuge and thus a source of resistance. Algerian leaders needed to muzzle other languages to impose the hegemony of the Arabic language on the entire nation. In fact, the existence of the pre-Islamic Berber language serves as a reminder that Algeria was not a blank slate before Islamization, and that the Arabization of the country was the consequence of an Arab conquest. The persistence of the use of French supposedly reveals Algerian’s alienated affinity for the West and its secular values. This affinity is summed up in the label hizb franza, literally, “the side of France,” which is used to designate a traitor to the country. »

« “Linguicide” stands as a strategy elaborated to subjugate and reshape the identity of the country and its inhabitants by separating them from their points of reference. »

« Le “linguicide” se présente comme une stratégie élaborée pour subjuguer et remodeler l’identité du pays et de ses habitants en les séparant de leurs points de repère. »

Le troisième chapitre de l’article « Language death » est intitulé  « Language revitalization », sujet qui possède un article entier.

« Language revitalization, also referred to as language revival or reversing language shift, is an attempt to halt or reverse the decline of a language or to revive an extinct one. »

« La revitalisation linguistique, aussi appelée renaissance linguistique ou inversion du changement linguistique, est une tentative pour arrêter ou inverser le déclin d’une langue ou pour en faire revivre une éteinte. »

Il existe une vingtaine d’autres langues possédant un article sur ce sujet, mais … pas le français.

Dans Google, « revitalisation linguistique » ne conduit à aucun article de Wikipedia. Les premiers liens apparaisant se rapportent à un même auteur, James Costa, et en particulier à un article intitulé « Revitalisation linguistique : Discours, mythes et idéologies. Une approche critique de mouvements de revitalisation en Provence et en Écosse »

Le mot « régénération » possède plusieurs entrées homonymes sur Wikipedia, notamment celles-ci :

  • Régénération, la faculté de reconstitution des tissus vivant.
  • Régénération, la faculté d’un écosystème à se reconstituer.
  • Régénération, une renaissance spirituelle : « Born again » (christianisme)

« Born again (christianisme) » : « Le terme nouvelle naissance ou born again (littéralement né de nouveau en anglais, traduit parfois par régénéré) est une expression chrétienne. Il désigne un individu qui affirme avoir vécu une régénération spirituelle après s’être réconcilié avec Dieu, et qui après cette renaissance de l’âme est appelé un enfant de Dieu. Ce point est un élément fondamental du christianisme évangélique. »

Le sens du mot tel qu’il apparaît chez l’abbé Grégoire (Essai sur la régénération physique, morale et politique des Juifs), et plus généralement lors de la Révolution française, est absent.

On trouve une analyse du concept de « régénération » chez Grégoire dans le livre d’Alyssa Goldstein Sepinwall, The Abbé Grégoire and the French Revolution. The Making of Modern Universalismet un compte rendu de ce livre sur le site Annales historiques de la Révolution française.

« Il reste donc jusqu’au bout attaché à un rêve de République chrétienne, dans laquelle il voit la clef de la « régénération ». Alyssa Sepinwall souligne tout à la fois la constance de cet engagement, et les nombreuses apories qui l’émaillent.

Néanmoins, sur le sens de cette « régénération », l’analyse demande éclaircissements et approfondissements. Selon l’auteur, l’utilisation de cette notion est la clef de compréhension de la façon dont Grégoire nouait la défense de certains groupes opprimés (sont particulièrement pris en compte les noirs, les juifs et les femmes) et la libération universelle, l’intégration dans la famille universelle. D’une part, cette intégration était toujours inséparable chez Grégoire de la pastorale, d’une perspective ultime de conversion à un christianisme épuré de la corruption et de l’intolérance. Au fil du temps, cette perspective est de plus en plus teintée d’apologétique ; le christianisme est l’unique message de libération universelle. En outre, l’intégration se fait toujours par le renoncement à des pans entiers de l’identité culturelle des groupes concernés ; il est particulièrement dur pour la tradition rabbinique qui enferme les juifs dans un ritualisme obscurantiste. Mais c’est également vrai pour les ancien esclaves, pour lesquels il s’agit de renoncer aux liens culturels qui les attachent encore à l’Afrique, voire de renoncer à leur être propre, et c’est tout le sens de la promotion des mariages inter-raciaux, qui doivent donner naissance à un nouveau peuple. L’auteur pense que Grégoire reste ainsi implicitement attaché à une hiérarchie des valeurs, qui préserve la position dominante des européens ; c’est en ce sens qu’il entend qu’une colonisation renouvelée pourrait établir des rapports nouveaux avec l’Afrique, mais où l’apport civilisationnel se ferait à sens unique. »

« l’intégration se fait toujours par le renoncement à des pans entiers de l’identité culturelle des groupes concernés » ;

« il s’agit de renoncer aux liens culturels qui les attachent encore à l’Afrique, voire de renoncer à leur être propre » ;

« des rapports nouveaux avec l’Afrique, mais où l’apport civilisationnel se ferait à sens unique »

L’auteur du compte rendu, B. Gainotne mentionne ici aucun des termes vus auparavant : « ethnocide », « génocide », « génocide culturel ». Mais les formulations utilisées (« renoncement à des pans entiers de l’identité culturelle », etc.) ne désignent pas autre chose.

Il se rattrape cependant partiellement dans la conclusion, sur le mode de l’incertitude interrogative :

« L’étude se termine par un épilogue, très intéressant, qui retrace la postérité de la figure de Grégoire, par-delà l’anecdote des funérailles si controversées. Ce n’est pas tant la haine tenace que vouèrent au républicain évangéliste et démocrate les milieux monarchistes et l’Église établie, jusqu’à la panthéonisation récente et controversée, que nous retiendrons pour terminer que les vigoureuses contestations actuelles de son universalisme : un antisémite avoué ? Un précurseur des aventures coloniales du XIXe siècle, vigoureusement nourri de la conviction que la race blanche a une mission vis-à-vis des races inférieures ? Un misogyne impénitent et hypocrite ? Et même l’initiateur d’un véritable « génocide culturel » des cultures minoritaires de l’hexagone…[…] Grégoire ne fait toujours pas consensus, et c’est une bonne chose. »

En réalité, pour Alyssa Goldstein Sepinwall, il ne fait aucun doute que l’abbé Grégoire ne soit le promoteur convaincu de « génocides culturels », mais elle utilise une autre expression : « cultural homogenization » (« homogénéisation culturelle »), expression qui n’est ici — comme elle peut l’être ailleurs — qu’une euphémisation du mot « génocide » ou de « génocide culturel ». Grégoire parle, lui, de « les fondre dans la masse nationale ».

« Euphémisme » : « Figure de pensée par laquelle on adoucit ou atténue une idée dont l’expression directe aurait quelque chose de brutal, de déplaisant. »

« “IT IS THEIR FAULT” : REGENERATION AND CULTURAL HOMOGENIZATION »

« We would misunderstand Grégoire’s idea of regeneration, however, if we thought it only meant crusading for kindness toward previously excluded groups and giving them citizenship. His frustrations—and silence—with regard to Jews are revealing. Despite his early interest in the Jewish issue, he turned his attentions elsewhere after 1789; when Jews ultimately received citizenship in 1790 (Sephardim only) and 1791 (all other Jews in France), other revolutionaries were more involved than he. […]
Indeed, new evidence gives a candid view of Grégoire’s frustrations and hesitations with regard to the Jews. In July 1791, seventeen months after the Sephardim had been deemed citizens, Grégoire explained to a Swiss friend why the Ashkenazim had not yet succeeded. Far from blaming the Jews’ opponents, he wrote: “The Portuguese and Avignonese Jews enjoy the rights of citizens, those of Alsace and Lorraine not yet—and it is their fault. They would like to keep their communities and a torrent of customs that conflict with our current government [emphasis added].” He noted that he wished them well, but that it was necessary to “dissolve them into the national mass” [« les fondre dans la masse nationale »] instead of allowing them to remain a culturally definable group. To him, the Ashkenazim’s notion of citizenship—that they could be patriotic Frenchmen while maintaining distinct Jewish practices—was absurd.

Grégoire’s comments remind us that his vision of regeneration entailed not only the immediate granting of citizenship to oppressed groups and thus their formal inclusion in the nation, but also special measures to change them. Just as Grégoire had made clear before the Revolution that the Jews needed to change physically, morally, and politically to become fully French, Grégoire now applied similar ideas to non-whites and country dwellers. The nation required a unitary character. […]

For Grégoire, difference thus appeared as a problem that needed to be solved through homogenization. The abbé was a great believer in the universal language of the Declaration; unlike many of his colleagues, he advocated immediate political rights for nearly all men. At the same time, he saw rights as only a first step. The nation needed a unified character, and groups who were different would need to alter their customs and values. The new ideal was not an entirely pre-existing one, since all of France needed to be regenerated. Some groups, however, had farther to go to get there. Country dwellers who spoke patois would need to speak only French; Jews would eventually need to convert; people of color would have to intermarry and adopt regenerated French values. Fully regenerated citizens would be French-speaking, Christian, enlightened, and light-skinned. »

« For Grégoire, difference thus appeared as a problem that needed to be solved through homogenization. […] Fully regenerated citizens would be French-speaking, Christian, enlightened, and light-skinned. »

« Pour Grégoire, la différence est donc apparue comme un problème qui devait être résolu au moyen de l’homogénéisation. […] Des citoyens complètement régénérés seraient de langue française, chrétiens, éclairés et de peau claire. »

Alyssa Goldstein Sepinwall – The Abbé Grégoire and the French Revolution. The Making of Modern Universalism

La notion d’ « homogénéisation culturelle » ne possède pas d’entrée en français dans Wikipedia, mais « Cultural homogenization » existe bien en anglais, avec cependant un sens qui s’écarte de celui que lui donne Alyssa Goldstein Sepinwall puisqu’il y désigne un processus contemporain, un des aspects de la « globalisation culturelle », et qui revient pour une grande part à une américanisation.

« The process of cultural homogenization in the context of the domination of the Western (American), capitalist culture is also known as McDonaldization, coca-colonization, Americanization or Westernization and criticized as a form of cultural imperialism and neo-colonialism. »

Cependant, pour Justin Jennings, auteur de Globalizations and the Ancient World, cité dans l’article, l’homogénéisation ne se fait pas à sens unique :

« Homogenization, therefore, is not so much about the spread of a single way of life as it is about how people come into contact with widely shared ideas and products and make them their own. »

L’ « homogénéisation culturelle » n’est donc pas ici un processus délibéré de destruction de langues, de cultures, d’institutions, comme c’est le cas dans un procesus génocidaire où tout doit disparaître, jusqu’aux noms eux-mêmes.

Les « lacunes volontaires » sur Wikipedia sont rendues particulièrement visibles du fait qu’il existe des versions en différentes langues qu’il est facile de comparer. Pour être moins visibles, elles ne sont pas moins présentes dans l’ensemble de la production intellectuelle, et on retrouverait les mêmes tendances à l’occultation sur les mêmes sujets dans, par exemple, l’Encyclopedia Universalis.