L'OPPRESSION LINGUISTIQUE

...siempre la lengua fue compañera del imperio...


                    Cuando bien comigo pienso, mui esclarecida Reina, i pongo delante los ojos el antigüedad de todas las cosas, que para nuestra recordación y memoria quedaron escriptas, una cosa hállo y sáco por conclusión mui cierta: que siempre la lengua fue compañera del imperio; y de tal manera lo siguió, que juntamente començaron, crecieron y florecieron, y después junta fue la caida de entrambos.

Antonio de Nebrija – Gramática de la lengua castellana (1492)

                  Quand je réfléchis bien en moi, très éclairée Reine, et pose devant les yeux l’antiquité de toutes les choses qui ont été écrites pour notre souvenir et notre mémoire, je trouve une chose et tire une conclusion très certaine, que toujours la langue fut compagne de l’empire ; et le suit de telle manière, que conjointement ils ont commencé, ont grandi et ont prospéré, et ensuite liée fut la chute des deux.


                                                                                         La domination s’exerce en effet aussi par le langage. Les « élites » imposent leur manière de parler comme la seule légitime.

Philippe Blanchet

                                                                 Autre aspect de la glottophagie : en situation de conquête, une des modalités de l’oppression d’un peuple ou d’une communauté passe par la domination exercée sur sa langue.

Alice Krieg

GLOTTOPHOBIA – GLOTTOMANIA

Discriminations : Combattre la glottophobie (Philippe Blanchet)

« Le premier livre à dénoncer la glottophobie, discrimination par le langage. »

                               Le langage est dans notre société un instrument de pouvoir puissant et méconnu […]. La domination s’exerce en effet aussi par le langage. Les « élites » imposent leur manière de parler comme la seule légitime.

Glottophobie, c’est un mot bizarre… […]

«L’idée, c’est de signifier par ce mot le fait que des personnes sont discriminées, sont jugées, humiliées, perdent de l’estime de soi parce qu’on n’accepte pas la façon dont elles parlent ou la langue [qu’]elles parlent…» […]

En quoi y a-t-il au juste des discriminations linguistiques, concrêtement ?

«On discrimine les gens globalement de deux façons. La première c’est en instaurant le fait que certaines langues sont acceptées dans certaines situations et que d’autres sont refusées, et donc que les gens, pour avoir accès, par exemple, à des droits, à des ressources, à des moyens, à de la promotion sociale, doivent adopter une autre langue que la leur, et puis on discrimine aussi les gens sur la façon dont ils parlent une langue et sur le fait qu’on leur asigne des identités, souvent des identités négatives, péjotatives, des stéréotypes, et de la même façon, du coup, on les empêche d’accéder à un certain nombre de moyens de vie sociale, de vie culturelle, à cause de la façon dont ils parlent.» […]

Mais pourquoi c’est ignoré, c’est au fond la question qu’on se pose. Pourquoi est-ce que c’est ignoré, par exemple, du champ politique … pourquoi c’est comme ça, un tabou presque ?

«Alors, c’est, c’est particulièrement un tabou en France… la plupart des grands textes internationaux de protection des droits de l’homme et de lutte contre les discriminations interdisent les discriminations linguistiques explicitement et disent qu’on a accès à tous ses droits quel que soit la langue dans laquelle on parle et comment on la parle…. Mais en France … c’est parce qu’il y a une idéologie linguistique qui est l’idéologie de l’homogénéité nationale, tout le monde doit parler la même langue et de la même façon, et on a fait en sorte, au cours, on va dire, en gros, des deux siècles précédents, d’inculquer ça aux gens de telle sorte que tout le monde y croit, et du coup on pense que c’est légitime de reprocher à quelqu’un d’être hors norme d’une certaine façon, de sortir de la case…[et du coup de menacer ce] ce mythe de l’homogénéité qui dans les faits existe pas parce que la diversité linguistique on peut pas l’empêcher…» […]

Alors, on a tendance à l’oublier mais la langue c’est un instrument de domination. Et d’ailleurs, en prélude, vous citez Boltanski et Bourdieu : «Le pouvoir sur la langue est une des dimensions les plus importantes du pouvoir.» […]

Concrêtement, que faire alors pour lutter contre ce genre de discrimination….

«Alors, c’est, c’est un vaste chantier …. D’abord je crois qu’y a la nécessité d’une prise de conscience, hein, que c’est de la discrimination comme d’autres discriminations…. Peut-être qu’un jour par exemple dans la loi française qui prohibe les discriminations, on pourra rajouter, elle a déjà été modifiée deux fois, une troisième fois les discriminations linguistiques… Pour l’instant j’ai pas d’écho du milieu politique… Pour l’instant le, la ministre de la justice m’a pas encore téléphoné pour me demander comment modifier la loi mais j’espère que ça viendra…» […]

Est-ce que ça passe par exemple aussi en France par la reconnaissance des langues régionales. On sait que la France était plutôt en retard par rapport aux directives européennes…

«Oui, et pas qu’européennes, … y a aucune raison qu’on interdise à quelqu’un d’utiliser sa langue, y compris sa langue première, et qu’on l’oblige à passer par la langue de quelqu’un d’autre pour avoir accès, par exemple, à des droits administratifs, des ressources, des services, etc.»

http://editionstextuel.com/index.php?cat=020407&id=648

http://www.observatoireplurilinguisme.eu/index.php/fr/pole-recherche/parutions/9926-blanchet,-philippe,-2016,-discriminations-combattre-la-glottophobie,-paris,-textuel,-192-p

Un « triple enfermement » idéologique des pratiques linguistiques : logicomathématique, sociopolitique et ethnonationaliste

« Qu’est-ce que la glottophobie ? Le sociolinguiste et professeur à l’université de Rennes 2, Philippe Blanchet, a forgé ce mot pour désigner les discriminations linguistiques de toutes sortes et qu’il définit ainsi : « le mépris, la haine, l’agression, le rejet, l’exclusion, de personnes, discrimination négative effectivement ou prétendument fondés sur le fait de considérer incorrectes, inférieures, mauvaises certaines formes linguistiques (perçues comme des langues, des dialectes ou des usages de langue) usitées par ces personnes, en général en focalisant sur les formes linguistiques (et sans toujours avoir pleinement conscience de l’ampleur des effets produits sur les personnes) ». » […]

« Mais, comme le recto d’une feuille de papier est inséparable de son verso, l’autre face de la glottophobie est la glottomanie qui consiste à parer une langue (ou plusieurs) de toutes les qualités (clarté, beauté, précision, etc.) comme autant de mirages qui finissent par créer son « prestige » (rappelons que le prestige est une illusion dans le vocabulaire de la prestidigitation). Et Philippe Blanchet démontre dans son livre, comme dans l’entretien qu’il nous a accordé, que cette surévaluation linguistique est souvent le fruit de politiques linguistiques menées par les Etats-Nations. La France, où l’identité nationale est pensée comme synonyme de langue française, est, à cet égard, un laboratoire de premier ordre pour le sociolinguiste. » […]

« J’ai élaboré récemment, dans un texte à paraitre, une théorie du « triple enfermement » idéologique des pratiques linguistiques, dont l’enfermement logicomathématique, et c’est de la Grèce antique qu’il nous vient. Les deux autres enfermements, sociopolitique et ethnonationaliste, ont fait le reste en sélectionnant, sacralisant, imposant, une variété standardisée semi-artificielle d’une seule langue (par exemple la norme scolaire du français standard) comme totem de l’unité nationale et filtre d’accès aux sphères de pouvoir. » […]

« L’idéologie nationale (et même nationaliste) française a ensuite fait réinterpréter le sens de ces deux articles [de l’ordonnance de Villers-Cotterêts]  pour essayer de légitimer par une ancienneté historique l’imposition du monolinguisme de langue française lancée sous la Terreur (en 1793) et poursuivie jusqu’à aujourd’hui dans l’Etat-Nation français inventé et construit depuis la Révolution. On a fait croire que l’ordonnance couvrait tous les usages administratifs, voire institutionnels. On a même fait croire que c’était le premier texte qui instaurait une « langue officielle » ou une « langue nationale » en France. Tout ceci est évidemment au moins une surinterprétation très exagérée, voire une manipulation malhonnête inspirée par un projet idéologique. Mais le travail d’inculcation du mythe a été très puissant lors de la construction ethno-nationaliste de la France d’après la Révolution, par ses appareils idéologiques d’Etat dont l’instruction publique devenue « éducation nationale » (l’adjectif est lourd de signification). C’est comme ça que se met en place une hégémonie (c’est-à-dire, au sens de Gramsci, une domination inculquée comme « normale » et donc acceptée y compris par celles et ceux qui en sont victimes et qui n’y voient pas d’alternative). »

« Qu’est-ce que la glottophobie ? Entretien avec Philippe Blanchet »

http://blog.assimil.com/glottophobie-entretien-philippe-blanchet

Glottophobie : article sur Wikipedia

https://fr.wikipedia.org/wiki/Glottophobie

GLOTTOPHAGIA

Linguistique et colonialisme. Petit traité de glottophagie (Louis-Jean Calvet)

« Le propos de ce livre est de montrer comment l’étude des langues a toujours proposé, au bout du compte, une certaine vision des communautés linguistiques et de leurs rapports, et comment cette vision a pu être utilisée pour justifier l’entreprise coloniale. Les sciences humaines sont en effet enfermées dans un carcan séculier : qu’elles le veuillent ou non, elles parlent de nous, de nos conflits, de nos luttes. Et la traduction qu’elles en donnent est souvent, qu’elles le veuillent ou non, utilisée au profit de certains, dans ces conflits et dans ces luttes. D’un certain point de vue, la linguistique a été jusqu’à l’aube de notre siècle une manière de nier la langue des autres peuples, cette négation, avec d’autres, constituant le fondement idéologique de notre « supériorité », de la supériorité de l’Occident chrétien sur les peuples « exotiques » que nous allions asservir joyeusement. Le phénomène n’a d’ailleurs pas disparu avec la « décolonisation ». Louis-Jean Calvet le montre très clairement à travers un certain nombre de comportements, non seulement outre mer, mais à l’intérieur même de l’hexagone où les langues régionales demeurent les victimes d’un impérialisme linguistique dont l’un des masques les plus récents est peut être celui de la francophonie. Une linguistique consciente de ces implications politiques ne peut être que militante. C’est aux linguistes concernés, dans leurs pays respectifs, dans leurs régions, qu’il appartient d’assumer cette prise en charge, ce combat pour la défense et l’épanouissement de leur langue et de leur culture propres. »

http://www.payot-rivages.net/livre_Linguistique-et-colonialisme-Louis-Jean-Calvet_ean13_9782228880282.html

« Linguistique et colonialisme … a paru pour la première fois en 1974. Il est devenu depuis un classique de cette branche des sciences du langage que l’on nomme la politique linguistique (l’auteur préfère parler plus justement de politologie linguistique). Celle-ci s’intéresse aux rapports qu’entretiennent les langues et le politique, que ces rapports s’exercent entre des langues différentes (par exemple, prééminence de l’anglo-américain dans les échanges scientifiques internationaux) ou à l’intérieur d’une même langue (volonté de réduire l’écart entre variantes régionales, réformes de simplification de l’orthographe…). Au cours de cet ouvrage écrit dans le contexte d’une décolonisation en voie d’achèvement, Louis-Jean Calvet s’attache à décrire et illustrer la « glottophagie ». Ce terme est assez explicite : une langue en mange une autre. Mais les chemins qui conduisent à la glottophagie ont la complexité des sociétés humaines : ils mêlent l’histoire et la géographie, les intérêts politiques, économiques, religieux et scientifiques. La description des langues à laquelle travaillent les linguistes a longtemps servi à justifier l’entreprise coloniale, à l’instar de l’anthropologie physique.

La distinction entre ce qui relèverait du « dialecte » (toujours péjoratif, celui du sauvage et de la tribu) et ce qui relèverait de la « langue » (valorisée, celle du civilisé et de la nation) est un de ces outils à demi scientifiques qui légitiment la domination. Plus largement, un ensemble de qualificatifs aux fondements scientifiques très contestables distribue les langues sur une échelle de valeur : il y aurait des langues plus claires, plus riches, plus aptes à nommer l’abstraction… Autre aspect de la glottophagie : en situation de conquête, une des modalités de l’oppression d’un peuple ou d’une communauté passe par la domination exercée sur sa langue. »

Alice Krieg

https://www.cairn.info/magazine-sciences-humaines-2002-6-page-60.htm

LINGUICISM & LINGUISTIC IMPERIALIM

« In the mid-1980s, linguist Tove Skutnabb-Kangas, captured this idea of discrimination based on language as the concept of linguicism. Kangas defined linguicism as the « ideologies and structures which are used to legitimate, effectuate, and reproduce unequal division of power and resources (both material and non-material) between groups which are defined on the basis of language. »

« Au milieu des années 1980, la linguiste Tove Skutnabb-Kangas a saisi cette idée de discrimination basée sur la langue par le concept de linguicisme. Kangas a défini le linguicisme comme les « idéologies et structures qui sont utilisées pour légitimer, opérer et reproduire une division inégale du pouvoir et des ressources (à la fois matérielle et non-matérielle) entre des groupes qui sont définis sur la base de la langue. »

https://en.wikipedia.org/wiki/Linguistic_discrimination

http://www.tove-skutnabb-kangas.org

Robert Phillipson – Entrevista

Llengua i reivindicacions nacionals a Catalunya